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chapitre 11 : DE 1850 A NOS JOURS, APOGEE ET DECLIN DE LA VIE FORESTIERE TRADITIONNELLE EN GRESIGNE

forêt-grésigne-cerf-biche-chevreuil-chasse-courre-sanglier-bouyssières

Nous voilà un demi-siècle après la Révolution : le territoire de la forêt de Grésigne a été rattaché en 1814 à la commune de Castelnau-de-Montmiral au détriment de celle de Puicelcy, et le pouvoir central vient de supprimer de façon définitive tous les droits d’usage dont la population des communes périphériques profitait en forêt depuis l’époque féodale.

La nouvelle période qui commence dans l’histoire de la Grésigne sera liée aux divers changements de sa gestion interne tels que la création de chemins forestiers, l’organisation des coupes, le droit de chasse, tout en demeurant soumise à la survivance des droits d’usage et la persistance des divers abus et délits qui lui sont attachés.

Mais au-delà des aménagements techniques forestiers, les rapports de la population grésignole avec la forêt de Grésigne sont aussi influencés par l’évolution de son environnement rural immédiat qui subit une mutation économique et sociale sur la longue durée, accompagnée par un exode continu depuis 1850 jusqu’à nos jours. Les habitants des villages grésignols seront ainsi soumis aux vicissitudes qu’entraîneront aussi bien les changements techniques dans le domaine agricole et artisanal que les modifications inhérentes aux régimes politiques du Second Empire, puis de la Troisième à la Cinquième République et, pis encore, aux guerres de 1870, 1914-1918, 1939-1945. Ils seront ensuite confrontés aux bouleversements plus récents concernant l’apparition des nouvelles fonctions de leur espace rural.

Avec les modifications matérielles, techniques et économiques qui ont transformé leur vie traditionnelle, dans le sens où la Grésigne assurait une présence quotidienne, la population grésignole se détachera peu à peu des activités forestières qui avaient concerné jusqu’en 1850 la quasi-totalité d’une dizaine de milliers de personnes que l’on comptait dans les sept communes limitrophes de la forêt (avant que de n’en constituer approximativement que le quart en ce début du 21ème siècle). Au plan culturel, c’est toute une civilisation rurale qui a disparu, faisant place à une nouvelle vision du monde et à de nouveaux comportements dans les « nouvelles campagnes » d’un espace rural profond confronté à la métropolisation dominante des années 2000.

une scierie ancienne en forêt de Grésigne
Une scierie en Grésigne. Carte postale ancienne
EVOLUTION DE LA RURALITE GRESIGNOLE
L’environnement rural de la Grésigne soumis à un exode irréversible

L’année 1850 marque l’apogée de la vie rurale dans les villages limitrophes de la forêt. Leur démographie atteint alors son plus haut niveau en conservant une économie traditionnelle qui se modifie peu à peu. Penne passe ainsi de 1 720 habitants en 1754 à 2 500 habitants en 1848 et Puicelcy de 1 500 habitants à 2 300 au cours de la même période. Après l’essor de la natalité qu’ont connu, depuis la Révolution, une paysannerie de petits propriétaires et un artisanat rural diversifié, les petits pays grésignols, restés à l’écart des progrès de la première révolution industrielle, se trouvent dans un état de surpopulation par rapport aux ressources alimentaires produites.

L’émigration vers les villes commence donc ici tardivement, à partir des années 1850, stoppant la croissance démographique ininterrompue que nos sept communes limitrophes de la Grésigne avaient connue au cours de cette première moitié du 19ème siècle, malgré les ponctions opérées par les guerres du Premier Empire et par l’épidémie du choléra survenue dans notre région en 1835, malgré une mortalité infantile très élevée due à une mauvaise hygiène et malgré les nombreuses disettes qui se suivent régulièrement, depuis celle des années 1816-1817 à celle des années 1853-1854, pour ne citer que deux crises frumentaires parmi les plus dures.

Cet exode permettra de délester d’un trop plein d’une population jeune et sous-rémunérée, souvent sans travail, nos campagnes grésignoles qui connaîtront ensuite, de 1855 à 1880, une amélioration relative des conditions de vie par rapport à la période précédente qui fut celle d’une démographie galopante entre la Révolution de 1789 et celle de 1848.

Maintien d’une polyculture généralisée

Pendant le Second Empire, les familles des villages grésignols commencent à bénéficier des lents progrès de la production agricole, favorisant une consommation autarcique traditionnelle reposant sur une polyculture locale devenue plus diversifiée où la vigne occupe une place importante .

Cultivé en foule et non en rangées, maintenu et reproduit par marcottage, vendangé sur décision du ban prononcé par les Conseils municipaux « lorsque les raisins touchent à leur bonne maturité », ayant une qualité garantie par une faible productivité d’une dizaine d’hectolitres à l’hectare (rarement vingt), le vignoble grésignol, poussant sur les terres de rougier des coteaux de la Vère exposés au sud, bénéficie alors d’une excellente réputation. A titre d’exemple, citons une lettre adressée en 1829 au Préfet du Tarn par Juin (Maire de Puicelcy de 1815 à 1830), qui signale sur sa commune de 1 860 hectares et peuplée de 2 000 habitants, « la progression des vignes passée de 150 hectares en 1789 à 218 hectares produisant 2 400 hectolitres consacrés en quasi-totalité à satisfaire l’autoconsommation locale », ce qui représente un rendement moyen égal à 11 hectolitres par hectare et une consommation très élevée de 120 litres par an et par habitant en moyenne !

Les fourrages artificiels, comme la luzerne, se développent peu à peu, passant dans le canton de Castelnau-de-Montmiral de 666 hectares en 1852 à 1 367 hectares en 1892. Ils suppriment la jachère et augmenteront la surface cultivée réservée aux céréales traditionnelles de blé et d’orge ainsi qu’aux autres menus grains tels que fèves, haricots, lentilles et pois chiches, tandis que les cultures traditionnelles de lin, chanvre, coriandre, safran et même pastel seront appelées à disparaître rapidement. Le maintien d’un système agricole très diversifié, à dominante céréalière-herbagère-vigne, joignant l’élevage de diverses espèces animales à de nombreuses cultures vivrières, améliore et assure au mieux une auto-alimentation familiale. Celle-ci est accompagnée de la production de lait, de volailles et de laine ainsi que de nombreuses plantes textiles et oléagineuses (noix) sans oublier la récolte de fruits divers, de poissons, de champignons et de gibier lorsque l’occasion s’en présente. Du matin au soir, depuis l’aube au crépuscule, nos arrière-grands parents ont connu une vie de travail pour que leur famille, où cohabitaient souvent plusieurs générations, puisse manger, se chauffer et s’habiller à partir de savoir-faire aujourd’hui perdus.

Ces mêmes familles ne profitent cependant que très passagèrement d’une conjoncture favorable. En effet, au cours du dernier quart de ce 19ème siècle, se manifeste le premier ébranlement de cette société rurale grésignole avec la crise phylloxérique qui apparaît en 1879 dans les communes proches d’Amarens et d’Alos, tandis que les cours agricoles du blé importé de Russie sont en chute libre. Dans le canton de Castelnau-de-Montmiral, la surface des vignes passe de 2 483 hectares en 1873 à 650 hectares en 1892 ! Sur la commune de Penne, la vigne qui occupait en 1810 une surface de 580 hectares produisant 5 080 hectolitres de vin, tombe en 1895 à 5 hectares produisant 5 hectolitres par hectare ! La dépression généralisée que connaîtront tous les pays ruraux provoquera, dans le Bas-Languedoc, la révolte des vignerons en 1907-1908 et n’épargnera pas nos contrées, au nord comme au sud de la Grésigne, où le vignoble, reconstitué par le greffage des variétés de vinifera sur des porte-greffes de vignes américaines, aura aussi une production excédentaire qui entraînera l’effondrement des cours du vin.

Une micro-propriété agricole,  longtemps source de précarité

Depuis la Révolution, les lois de l’héritage ont permis la division des biens fonciers du fait de leur partage en nature entre les divers héritiers, ce qui a entraîné l’augmentation du parcellement des terres et du morcellement des propriétés en assurant le maintien du nombre des petits exploitants familiaux agricoles propriétaires de parcelles lilliputiennes cultivées en faire-valoir direct. 

A titre d’exemple, le registre des contributions bâties de l’an V (1797) de la commune de Puicelcy-en-Albigeois comptait 483 propriétaires dont plus des trois quarts étaient des petits propriétaires payant moins de 10 livres de taille soit 192 familles qualifiées de « cultivateurs », 31 « brassiers », 146 artisans et 13 marchands. Une vingtaine d’années plus tard, la matrice cadastrale de 1815 comprenait 638 propriétaires (un tiers en plus), parmi lesquels figuraient 207 familles de «  cultivateurs  » et 111 artisans.  La liste établie de ceux qui étaient soumis en 1817 à des prestations vicinales comportait 289 familles de prestataires dont 204, soit 70 %, étaient de petits propriétaires imposés par 2 à 10 jours de travail tandis que le tiers restant devait fournir jusqu’à 50 jours de travail. 

De même qu’à Puycelsi, au cours de la première moitié du 19ème siècle, les villages périphériques à la Grésigne avaient une nombreuse population pour laquelle la forêt était une source d’activité importante jusqu’à ce que les Eaux-et-Forêts mettent fin aux droits d’usage en Grésigne en 1852.  Entre 1830 et 1860, de nombreux scieurs de long et charbonniers occupent  les hameaux de Mespel, des Abriols, de la Dugarié, de Haute-Serre. Mais, de la dizaine de verreries qui fabriquaient porrons, carafons, burettes, tire-lait et autres ustensiles à Fonblanque, Haute-Serre, au Sauze, à Lassagne, Lissart, Cabane, Littre, Mongach, Merlens, Gratte-Galine, il ne restera plus que celle du sieur Robert qui fonctionnera jusqu’ ‘en 1852 à Haute-Serre avec une cinquantaine d’ouvriers pour approvisionner ses fours. De même, Gérard Soutadé indique dans sa thèse sur « La Grésigne et ses abords » que « la production du charbon de bois chute de 1 800 sacs en 1830 à 200 sacs en 1880 », et que « la production de merrain diminue de 1 120 cannes en 1810 à 590 cannes en 1895 ». Ce sera, à la suite d’une surpopulation entraînant des conditions de vie de plus en plus difficiles, que les pays grésignols  commenceront à subir un exode rural dès les années 1850.

La micro-propriété en faire-valoir direct restera ainsi le fait dominant du 19ème siècle et se poursuivra, bien au-delà de la guerre 1914-1918 et jusqu’en 1950, conditionnant l’existence de très nombreuses petites exploitations agricoles où la survie de la famille paysanne restera encore liée à la pratique d’une vie autarcique caractérisée par un élevage diversifié et une polyculture généralisée pour satisfaire tous les besoins primaires en alimentation, habillement et chauffage d’une maisonnée regroupant souvent plusieurs générations.  Que l’on en juge par les statistiques de  répartition des exploitations agricoles dans le canton de Castelnau-de-Montmiral en 1892 où l’on comptait 2 258 exploitations agricoles au total parmi lesquelles 409 ont moins d’un ha, 793 de 1 à 5 ha, 516 de 5 à 10 ha tandis qu’en 1929, sur 1 489 exploitations, il y en aura 116 de moins d’un ha, 257 de 1 à 5 ha et 329 de 5 à 10 ha. 

Avant de quasiment disparaître aujourd’hui, ce sont surtout entre 1892 et 1929 que les petites exploitations agricoles de moins de 10 ha auront disparu le plus rapidement,  celles de moins de un hectare diminuant de 80%, celles de 1 à 5 hectares chutant de 60% et celles de 5 à 10 hectares subissant une perte de 32%… Quant au nombre total d’exploitations agricoles, ce sera une véritable hécatombe à partir de 1852. Ce canton rural comptait alors 3 800 exploitations qui ne seront plus que 2 258 en 1892,  1 489 en 1929 puis 615 en 1970 et guère plus d’une centaine en 2018 !

En relation avec ce nombre élevé de petites propriétés foncières, les animaux domestiques sont nombreux en 1892 dans le canton de Castelnau-de-Montmiral où l’on compte 873 chevaux, 91 mulets, 436 paires de bœufs et 504 paires de vaches pour 3 800 exploitations agricoles. Outre les nombreux charrois caractérisant l’activité agricole, la traction animale participe aux débuts de la mécanisation des travaux agricoles en utilisant les faucheuses à la place de la faux, les charrues et brabants à la place des araires traditionnels. Mais la plupart des travaux restent faits à la main. Par exemple, « 50 journées d’hommes, 20 journées de femmes et 10 journées d’enfant, sont nécessaires en 1850 à la culture d’un hectare de blé »[i]. Ainsi s’explique, en plus de la main-d’œuvre agricole familiale, un nombre de journaliers et « solatiers » s’élevant  dans  le canton à « 750 hommes et 520 femmes », encore employés en 1850 « au taux de 0,40 à 0,60 francs lorsqu’ils  étaient nourris, et de 1,50 à 2 francs non nourris ». La vigne, culture exigeante, nécessite un temps de travail encore plus important, et la surface du vignoble ira donc en diminuant au fur et à mesure que la population totale  diminuera. 

Ces brassiers allaient pour partie constituer dans les plaines voisines de la vallée du Tarn et de la basse vallée de l’Aveyron une main d’œuvre agricole passagère, faite de « ségayres » nécessaires à la moisson et de « vendemiayres » pour les vendanges. Outre la saison estivale, la main d’œuvre familiale de femmes et d’enfants était des « boisilleurs » allant faire des fagots dans les coupes de bois vendues en Grésigne, ramenant le soir à leur domicile une « charge » de bois mort transportée sur leur dos, sinon sur celui de leur mulet qui les accompagnait et pouvait ainsi compléter sa nourriture en forêt.

Hors d’une bourgeoisie foncière qui avait pu bénéficier de la vente des biens du clergé et des biens des émigrés lors de la Révolution et qui exploitait ses terres par métayage (ainsi par exemple la famille de Tholosany à Larroque détenait 12 métairies), les micropropriétaires et les brassiers représentent la large majorité de la population et ont encore grand besoin des droits d’usage en Grésigne. L’exercice d’un pouvoir local oligarchique, résultant d’un vote censitaire conduisant à élire les conseillers municipaux parmi les propriétaires les plus riches et soucieux de ne pas augmenter les impôts locaux frappant les biens immobiliers qu’ils détiennent en grande partie, est placé sous la pression d’un petit peuple grésignol prompt aux murmures annonçant désobéissance et révolte dès que les prix du blé et du pain augmentent.

Quand bien même les ressources complémentaires apportées par les droits d’usage en Grésigne ne compensent que partiellement la misère du pays grésignol, les Maires des communes limitrophes s’opposent à leur suppression. Mais  ils ne peuvent empêcher le pouvoir central de confisquer définitivement les rares et exceptionnels droits d’usage qui  avaient été de nouveau accordés par les Eaux-et-Forêts aux descendants des manants que Froidour et le Comte de Maillebois avaient déjà réprimés à la fin de l’Ancien Régime. Cependant, ce sera jusqu’à la fin du 19ème siècle que nous verrons s’exprimer une survivance de l’attachement de la population locale à leurs anciens privilèges, ce qui se traduira  par la persistance de nombreux actes de délinquance en forêt.

Un exode rural continu, aggravé par la guerre de 1914-1918

Les communes de Penne et de Puycelsi ont déjà perdu à la veille du premier conflit mondial, en 1911, plus de 1 000 habitants chacune, soit plus de la moitié de leur population. Paradoxalement, en contrepartie, à la fin du 19ème siècle, une main-d’œuvre locale raréfiée réduira le nombre de salariés ruraux disponibles localement. Il en résultera l’abandon de nombreuses parcelles agricoles peu fertiles et la mise en difficulté de grosses exploitations agricoles pour lesquelles le départ des jeunes vers les villes voisines devra être suppléé par des apports de travailleurs extérieurs. L’activité forestière, portée à son maximum au cours des années 1850, participera à la réduction massive de la main-d’œuvre locale.

Rappelant une situation antérieure à la Révolution où le Comte de Maillebois fit venir en Grésigne une importante colonie vosgienne de bûcherons pour procéder aux défrichements de la Grésigne en 1770-1780, il se produira de nouveau, au cours des années 1920-1930, une importante immigration de main-d’œuvre, italienne puis espagnole, qui succèdera dès la fin du 19ème siècle à l’arrivée en Grésigne d’une main-d’œuvre ariégeoise de bûcherons et charbonniers, ainsi qu’à une main-d’œuvre auvergnate de scieurs de long, tandis que l’installation de nombreuses familles paysannes aveyronnaises s’installeront dans les vallées et causses voisins.

Représentant le tiers de la population agricole, l’artisanat manufacturier des pays grésignols s’amenuisera avec la disparition progressive de nombreux métiers traditionnels dans le secteur du travail du bois, du cuir et du textile, tandis que le développement des mines de houille dans le Carmausin proche concurrencera et réduira peu à peu la consommation du bois de chauffage et l’utilisation du charbon de bois fabriqué en forêt de Grésigne. Par ailleurs, les flux d’arrivée d’une population étrangère ne compenseront pas les flux de départ de la population locale et le nombre de naissances sera plus faible que celui des décès. Dès 1850 va se poursuivre ainsi un long déclin économique et social, caractérisé par une population vieillie suite à la continuité d’un exode soutenu, aggravé par la saignée de la Première Guerre mondiale 1914-1918. Nos Monuments aux Morts portent témoignage de toute une génération de jeunes hommes tués au front à un âge compris entre 20 à 40 ans (nés entre 1875 et 1894 qui entraînera une diminution démographique très importante entre les deux grandes guerres sans oublier la grippe espagnole de 1919. La grande crise des années 1929-1930 affectera enfin durement la ruralité, y compris le secteur du bois pour lequel la consommation du charbon de bois utilisé à des fins industrielles disparaîtra à la suite de l’arrêt des forges de Bruniquel en 1874, et ne sera plus livré qu’à de seules fins ménagères.

Cette baisse démographique aboutira, au bout de cent ans vers 1950-1960, à une population réduite à moins du quart de ce qu’elle fut pour l’ensemble des sept communes périphériques à la forêt de la Grésigne en 1850, un siècle plus tôt. Au lieu des 10 000 habitants qu’elles comptèrent sous François Premier puis au début du Second Empire, leur population ne dépassait guère, à la fin du 20ème siècle, les 2 500 habitants avec une légère reprise entre 1980 et 2000. La densité est ainsi de l’ordre de 12 à 15 habitants au kilomètre carré, au seuil de la désertification.

La fin des paysans : un pays dépaysé autour de la forêt de Grésigne

Ainsi, au cours de la seconde moitié du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème siècle, de profondes transformations de l’économie rurale des petits pays grésignols ont contribué, peu à peu, à l’émergence d’un monde rural nouveau par rapport à un monde ancien qui, au dire des historiens, n’avait relativement que très peu évolué depuis la fin du Moyen Age. Les techniques de production forestière, agricole ou artisanale, n’ont en effet changé que très lentement dans nos régions grésignoles restées à l’écart de l’industrialisation et des grandes voies de communication. Avec la présence de la forêt qui constitue un espace particulier, Les villages grésignols diffèrent du Bas-Albigeois de la vallée du Tarn et du Bas-Quercy montalbanais. Dans un environnement agricole fait de polyculture à base de viticulture et d’élevage (ovin surtout), la Grésigne s’oppose au paysage des causses du nord-ouest du Tarn qui l’entourent et contribue au maintien d’une activité variée. Le genre de vie qui en a longtemps découlé, par voie d’osmose et de proximité, en a longtemps imprégné l’histoire, grâce aux privilèges accordés aux populations des communautés limitrophes puis supprimés en 1852. Cette date est importante : tout en constituant une rupture, elle marque le déclin du rôle important qu’avait la Grésigne pour la population environnante.

Aujourd’hui, l’espace péri-grésignol ne représente plus en effet ce qu’il a été. De façon progressive, les conséquences d’un changement de civilisation consacre la lente disparition d’une paysannerie et d’un artisanat traditionnels composant ici une ruralité où l’intégration de la forêt à la vie quotidienne et sa symbiose avec l’environnement limitrophe sont tombées dans l’oubli et ne forment tout au plus que de vagues souvenirs.

Certes, à la sortie de la guerre 1939-1945, l’évolution des conditions de vie pour les habitants de ces petits pays grésignols, que certains qualifient alors de « reculés » et de « retardés », a été freinée et ralentie par leur isolement géographique, voire même handicapés par leur relative pauvreté matérielle et leur marginalité culturelle entretenue par des notables plus soucieux de leurs intérêts que de l’avenir du pays. A titre d’exemple, l’adduction en eau potable de plusieurs villages et de nombreux habitats dispersés ne s’est fait qu’après les années 1960 et ne s’achèvera qu’autour du tout début des années 1980 alors que le téléphone commence à se multiplier et que l’automobile est déjà généralisée.

C’est donc à juste titre que les zones rurales périphériques à la forêt de Grésigne des années 1950-1960 pouvaient être considérées comme une zone-témoin de la survivance de la France rurale du 19ème siècle. Tout y menaçait ruine et des villages entiers couraient alors à l’abandon …

En 1970, les textes préparant un Plan d’Aménagement Rural prennent acte, autour de villages dépeuplés dont Vaour est l’un des cas le plus frappant, de l’abandon de nombreuses parcelles jadis cultivées, ce qui les conduisit à qualifier la profonde transformation des paysages de « pays dépaysé » ! C’est surtout le cas des friches qui s’étendent sur les communes de Penne et de de Vaour. Mais le remembrement brutal qui s’opéra sur 1 200 hectares environ de terres labourables en rectifiant le cours des 27 kilomètres parcourus par la Vère dans une vallée relativement étroite comprise de Larroque à Cahuzac-sur-Vère, n’apportera aucune modification dans un système traditionnel de cultures basé uniquement sur les céréales et un élevage de vaches laitières aujourd’hui disparu.

Les années 1950-1960 annonçaient « la fin des paysans » selon le titre d’un livre du syndicaliste agricole Michel Debatisse et ce, parallèlement à la généralisation de tracteurs de plus en plus performants et d’outils de plus en plus spécialisés qui vont endetter les petites et moyennes exploitations agricoles des petits pays grésignols. Celles-ci résisteront malgré l’exode des jeunes qui résultera en partie de la motorisation et de la mécanisation généralisée des travaux des champs au cours des« trente glorieuses ». Dans le même temps, ces exploitations décupleront alors leur productivité qui accompagnera cependant une diminution massive de leur main-d’œuvre familiale. La vulgarisation des techniques de fertilisation du sol et les progrès génétiques des semences, allant de pair avec le perfectionnement de la sélection animale, décupleront les rendements tout en entraînant la reprise d’un exode massif de la main-d’œuvre familiale. Et ce, malgré une politique favorable des prix agricoles alors protégés par le marché commun instauré par l’Union Européenne jusque dans les années 1980 qui ne pourra arrêter la concentration des terres et la rapide disparition des exploitations à deux UTH (Unité-Travailleur-Homme) préconisées par la Loi d’Orientation Agricole de 1960. Mais le rapport Manscholt prévoyait déjà la disparition en grande partie de ce type d’exploitations agricoles familiales, prévision qui s’est avérée exacte, puis largement dépassée aujourd’hui pour ce qu’il reste d’une agriculture locale totalement dissociée de la forêt de Grésigne.

Une nouvelle ruralité se dessine lorsque arriveront, dans les communes alentour après les évènements de mai 1968, une jeune population urbaine en voie de marginalisation. Porteurs d’une vision romantique de la nature, la plupart repartiront. Mais d’autres, notamment à Vaour, Penne et Puycelsi, s’implanteront et s’adapteront à la vie locale en créant des entreprises agricoles ou artisanales d’un type nouveau, apportant aux pays grésignols une touche d’originalité et d’imagination.

Nouvelles fonctions d’un espace rural grésignol en voie de mutation

La ligne de chemin de fer Montauban-Paris, via Lexos-Brive, avait déjà permis l’amorce d’une économie touristique dans la vallée voisine de l’Aveyron grâce à l’implantation du thermalisme à Saint-Antonin et à Féneyrols dès les années 1900 et la construction de très beaux hôtels pour l’accueil des curistes. L’attrait touristique des villages de Bruniquel et de Penne, avec leurs châteaux haut-perchés, se développe dès que la route N 115 remplace après 1955 la voie ferrée Lexos-Montauban desservant les gorges de l’Aveyron tandis que, plus en amont, Najac se dote de divers villages de vacances. Dans le même temps, une fréquentation touristique élevée ira en croissant dans la belle cité médiévale de Cordes-sur-Ciel, qui profitera aux villages de Montmiral et de Puycelsi laissés jusque-là en déshérence quasi-totale. Ces flux saisonniers ou de week-end d’un tourisme de visite, accompagné de l’implantation de nombreuses résidences secondaires autour des années 1970-1980, auront des retombées favorables pour restaurer le patrimoine bâti de ces vieux villages pittoresques autour de la Grésigne que reliera entre eux le Circuit des Bastides.

La mode du « retour à la nature » à l’occasion des sorties dominicales et des vacances estivales, contribue alors à la création de nombreux gîtes ruraux et de chambres d’hôtes ainsi que de petits campings à la ferme qui font des petits pays grésignols des pôles de tourisme vert diffus, très actifs tout autour de la forêt à partir des années 1975. Situé sur la commune de Puycelsi, dans la vallée du Rô Occidental à l’orée de la forêt de la Grésigne, un célèbre restaurant à la ferme, où l’on sert civet de sanglier et cuissot de chevreuil, fait le plein ces années-là avec quelque 500 repas servis le midi au cours de ses trois journées hebdomadaires d’ouverture.

Dans la vallée de la Vère, Castelnau-de-Montmiral bénéficie de l’aménagement par le SIVOM (Syndicat Intercommunal à Vocations Multiples), à proximité du Pont de la Lèbre, de la Base Intercommunale de Loisirs et du Plan d’eau Vère-Grésigne qui connaît une très grande fréquentation estivale dès sa création en 1985 avec plus de 20 à 25 000 entrées payantes, tandis que Penne et Vaour accueillent de très nombreux spectateurs pour leur spectacle de Son et Lumière et leur Festival du Rire qui animent la région depuis les années 1988 et 1989. L’Aveyron attire entre Najac et Bruniquel de plus en plus les canoës-kayacs qui, à Saint-Antonin, font jusqu’à 2 000 passages par jour au mois d’août.

La Grésigne se trouve ainsi au cœur de cette petite région touristique située entre les gorges de la moyenne vallée de l’Aveyron de Laguépie à Montricoux, la vallée du Cérou que domine Cordes-sur-Ciel et la vallée de la Vère où Puycelsi et Montmiral reçoivent de nombreux visiteurs.

Tandis que le remembrement et le redressement de la Vère de 1970 à 1979, la vulgarisation de nouvelles techniques agricoles au cours de la période 1960-1985 et l’amélioration du vignoble sont accompagnés par la vocation touristique de tous les villages de la zone périphérique de la Grésigne qui se traduit par l’augmentation de nombreux touristes et résidents secondaires, y compris d’une population européenne, nos campagnes grésignoles jusque-là soumises à « l’ordre immobile des champs » subissent de profonds changements économiques et sociaux par rapport aux années succédant à la Seconde Guerre Mondiale.

Les années 1945 à 1950, qui sont suivies par les « Trente glorieuses », débouchent sur une « nouvelle campagne » et nous apparaissent être une période-charnière pour marquer la fin d’une époque au cours de laquelle s’est éteint peu à peu une civilisation rurale qui était arrivée à son apogée en 1850, cent ans auparavant. Une civilisation qui fut celle des populations grésignoles pour lesquelles, depuis la nuit des temps le bois constituait un bien précieux apte à de multiples usages. La forêt de Grésigne était intégrée à la vie locale et longtemps vécue comme un espace quasi-quotidien d’appropriation collective, vivant en osmose étroite avec la ruralité environnante.

EVOLUTION DE L’ACTIVITE FORESTIERE EN FORET DE GRESIGNE

Jusqu’en 1850, l’activité forestière reste liée à un territoire périphérique, correspondant d’une part à l’utilisation du bois en harmonie avec les besoins de la population locale, d’autre part à son exploitation aboutissant pour partie à son transport par voie d’eau sur le Tarn et sur l’Aveyron. Au cours de la seconde moitié du 19ème siècle, suite à l’apparition du chemin de fer et à l’amélioration des routes départementales, l’administration des Eaux-et-Forêts aménage en Grésigne le réseau des chemins d’exploitation forestière pour faciliter le débardage des bois et leur exportation. Ce qui contribue à valoriser les coupes qui fourniront, sous forme de bois d’industrie ou de chauffe, ou bien sous forme de charbon, des produits de plus en plus concurrencés par de nouvelles énergies entraînant la disparition des verriers et des forges de Bruniquel.

Tandis que sont organisées les premières attributions de chasse à courre en Grésigne, les droits d’usage, supprimés en 1852, sont dès lors remplacés par des autorisations exceptionnelles soumises à des indemnités, mais sont également remplacés par la délinquance traditionnelle. Après la Guerre 1914-1918 durant laquelle les élèves de l’Ecole du Chemin de Fer de Versailles viennent remplacer les bûcherons de Grésigne partis au front, l’attachement que la population locale porte encore à la forêt se traduit en organisant des fêtes populaires à la Grande Baraque au cours des années 1920.Ces fêtes sont reprises au cours des années 1950 après la Guerre 1939-1945 durant laquelle la Grésigne a servi de repli aux maquisards du groupe Vendôme (2).

Bien que ce soit d’abord la qualité de son potentiel forestier qui fasse sa renommée, le passage de la Grésigne traditionnelle à la Grésigne actuelle reste lié à l’évolution de son environnement économique et social auquel cette belle forêt apporte une fonction écologique très appréciée par la richesse de sa flore et plus encore de sa faune. Les 2 480 espèces de coléoptères recensés par l’entomologiste Rabil, placent la Grésigne en troisième position après la forêt de Fontainebleau et l’antique réserve polonaise de Belovej. De par la qualité de son patrimoine naturel, la forêt primaire de la Grésigne a fait de ses alentours un pays-vert apprécié pour ses sentiers pédestres qui permettent de découvrir la forêt et le circuit des Bastides qui l’entoure. L’appellation associant « Vère et Grésigne » pour désigner à la fois la Base de Plein Air et son plan d’eau réalisé en 1985 montre la reconnaissance que ces institutions locales doivent à la forêt domaniale de Grésigne comme l’un des facteurs du développement touristique contemporain.

La Grésigne affectée par le déclin de l’économie locale et le développement de nouvelles énergies

En 1852, les dernières verreries de Haute-Serre (3) éteignent leurs fours où était brûlé une partie des bois des taillis de Grésigne. De leur côté, les maîtres des forges de Caussanus à Bruniquel ont bénéficié du marché pour la fourniture de fer à la construction de la voie ferrée Lexos-Montauban qui a été terminée en 1858. En conséquence de quoi ils ne participeront plus, eux aussi, aux adjudications forestières. La Compagnie des Chemins de Fer d’Orléans, qui achètera par la suite cette usine de Bruniquel à la Société Métallurgique Régionale, projette en 1874, peu avant sa fermeture définitive, la réalisation d’un équipement au gaz qui devait assurer le fonctionnement de ses deux hauts-fourneaux. La suprématie du bois et du charbon de bois au plan énergétique est dorénavant remise en cause.

Charbonnières en activité

Dure concurrence d’une énergie nouvelle en pleine extension qui permettra, avec la mise au point des machines à vapeur, la seconde Révolution Industrielle autour des bassins miniers. C’est la victoire écrasante du charbon de terre du Carmausin sur le charbon de bois de Grésigne, forêt que l’on mettra seulement à contribution pour fournir, dès lors, des poteaux de bois destinés à étayer les galeries de mine, en complément des poteaux provenant des coupes que les successeurs du Marquis de Solages feront effectuer dans la forêt de Sivens.

Subissant ensuite la concurrence de nouvelles sources d’énergies, comme le gaz, l’électricité et les produits pétroliers, le bois de Grésigne sera remplacé pour tous les usages énergétiques de la vie quotidienne des ménages et pour le fonctionnement des entreprises. Il aura une utilisation de plus en plus marginale dans son environnement régional. Y compris dans le monde rural grésignol immédiat, entre Bas-Quercy, Rouergue et Albigeois, dans les communes périphériques à la forêt où de très nombreuses activités agricoles et artisanales seront peu à peu condamnées à disparaître.

Ainsi, lorsque s’achèvera la Première Révolution Industrielle commencée vers 1830 à partir de laquelle l’industrie lainière, par exemple, supprimera progressivement le filage traditionnel de la laine, le tournage à la main de plus d’un million de fuseaux fabriqués annuellement à Puycelsi s’arrêtera peu à peu. Concurrencée par le coton, la culture du chanvre (« cannis sativa » et non sa sélection pour aboutir au « cannabis marijuana » !) et son utilisation par la Marine pour fabriquer les voiles mais plus encore les cordages par les cordiers de Penne, va disparaître progressivement à partir des années 1860 ainsi que la culture du lin, autre plante textile dont les graines servaient à faire de l’huile. Les tourteaux en résultant étaient utilisés pour appâter le poisson et alimenter les animaux de la ferme.

La fabrication de la chaux, à partir des blocs calcaires, fut également une activité très florissante dans toutes les communes situées entre Grésigne et Gaillacois jusqu’à la guerre de 1914-1918. Cette transformation était réalisée dans des fours (4) rustiques, souvent creusés à même le sol et complétés avec une voûte et des parois construites par les pierres calcaires disposées à cet effet. Chaque fournée exigeait quelque 5 000 fagots pour approvisionner de façon continue pendant 3 à 4 jours une cuisson ininterrompue permettant d’obtenir une dizaine de tonnes de chaux vive, matériau utilisé aussi bien pour la maçonnerie que pour la préparation de la bouillie bordelaise si chère aux vignerons pour protéger les vignes du mildiou. Cette activité, prospère jusqu’au début de ce siècle, fut concurrencée par l’installation des usines à chaux et à ciment de Lexos, de Marssac et de Ranteil à Albi puis disparut rapidement ensuite.

Ce qui mit fin par la même occasion à la confection des fagots ou « bourrées » qui sont encore mentionnés pour chaque lot de bois adjugé en Grésigne en 1875 sur la base d’un prix « de 0,20 à 0,30 franc le cent » (5). Quant à la tonnellerie, très développée dans le Gaillacois et les villes qui longent la Garonne depuis Moissac, Lamagistère et Golfech jusqu’à La Réole, villes dont les ports fluviaux réceptionnaient le merrain de Grésigne depuis Gaillac, elle va disparaître peu à peu à son tour, avec le remplacement des foudres et futailles en bois de chêne ou de châtaignier par les cuves en béton et aujourd’hui en acier inoxydable.

Il en ira de même de l’artisanat du charronnage, dont maîtres et compagnons avaient les secrets de fabrication des roues à 18 ou 24 rayons et dont ils cerclaient de fer la jante extérieure. Ils n’avaient pas leurs semblables dans d’autres corps de métiers, ceux de la forge mais aussi du bois, pour construire charrettes, tombereaux, jardinières et autres chariots et charretons, que l’apparition des premiers véhicules motorisés et de leurs remorques, équipés de pneumatiques, vont remplacer à partir de 1920. Sans céder cependant à une vision pessimiste ni par trop immobile d’une forêt qui ne sera pas abandonnée, même aux pires moments des guerres mondiales, la Grésigne subit entre 1850 et 1950, les effets et les conséquences de l’évolution démographique et économique d’un environnement rural en perte de vitesse par rapport au développement d’un monde en voie d’industrialisation et d’urbanisation.

En 1850, on pouvait dénombrer la présence journalière en Grésigne de plusieurs centaines d’hommes, de femmes et d’enfants s’affairant autour des coupes de bois, induisant les travaux annexes de transport et d’entretien routier ainsi que de multiples activités artisanales de façonnage du bois dans les villages. L’économie forestière grésignole verra donc inéluctablement se réduire le nombre des emplois ruraux traditionnels.

Les très nombreux « Carbouniès, ressegayres, merrandiès…» vont disparaître progressivement, tandis que « fusayres, carretayres, caufourniès », et autres « bouscatiès » effectuant des activités liées à leurs droits d’usages ou bien à une exploitation professionnelle de la forêt, sont autant de professions qui vont céder leur place aux salariés payés à la tâche par diverses entreprises locales d’exploitation forestière équipées d’un matériel de sciage mobile ou fixe. Leur personnel de bûcherons, de scieurs de long, de merrandiers et de charbonniers diminuera peu à peu au fur et à mesure que les entreprises forestières, installées dans l’un ou l’autre des communes limitrophes de la forêt, au nombre de quatre à cinq jusque dans les années 1980, cèdent leur place à l’une d’elles et à d’autres entreprises extérieures. L’effectif des travailleurs forestiers sera alors réduit en Grésigne à quelques bûcherons spécialisés effectuant les coupes de bois munis de tronçonneuses auxquels s’ajoutent quelques conducteurs de ces engins forestiers modernes qui sectionnent mécaniquement les troncs après avoir les coupés et ébranchés puis qui les débardent et qui les chargent avec des tracteurs spécialisés munis de treuils et de pelles de levage, pour les transporter ensuite, tronçonnés en grumes, aux scieries automatisées où ils seront débités en plots et planches aux dimensions normalisées que l’on soumettra au séchage artificiel. La plus-value brute résultant de ces divers travaux représente environ dix fois la valeur du bois acheté sur pied en Grésigne mais reste cependant dix fois inférieure en moyenne à la plus-value totale qui résulterait de la transformation du bois brut en produits plus élaborés tels que parquets, panneaux divers, meubles etc.

L’utilisation actuelle de ces nouveaux moyens techniques d’exploitation mis à disposition des entreprises forestières, utilisés pour la coupe des arbres, pour leur débardage et leur transport jusqu’au stade du sciage et du séchage, a été l’aboutissement d’une adaptation progressive. Mais le coût de ces divers matériels spécialisés est resté hors de portée des petits exploitants forestiers locaux autour de la Grésigne.

Ici, la forêt n’a pas participé au développement d’une filière-bois au sein d’une économie rurale relativement pauvre en emplois dans un milieu humain vieillissant du fait d’un exode continu et de l’exportation de ses bois vers l’extérieur.L’ordre immobile des champs, que les techniques agricoles ont été lentes à transformer de façon progressive et apparente, vaut aussi pour la forêt. Depuis le début du 19ème siècle où la Grésigne a connu son apogée, les travaux forestiers en Grésigne n’ont été modifiés que lentement. Une analyse plus fine nous conduirait à discerner des phases d’évolution contrastée, soumise à des facteurs divers, provoquant tantôt des périodes de progression de l’activité forestière, tantôt sa régression, tantôt sa reprise après une période de quasi-abandon ou de stagnation.

De 1850 à 1950, le travail en forêt n’a guère évolué : la hache, la mascotte et la scie passe-partout sont restés les outils essentiels des bûcherons et des charbonniers grésignols, à quelques détails près concernant leur forme d’emmanchement et la largeur de coupe de ces outils manuels, renouvelés par les Italiens venant du Piémont ou des Apennins lors des vagues d’immigration successives à partir de 1920-1930, la dernière étant celle des années 1950. Au cours de ces cent années, la productivité de l’exploitation forestière n’a donc guère progressé et le rendement du bûcheron grésignol n’a que peu varié puisqu’il était limité à la coupe manuelle et à la mise en tas d’une « canne » de bois de chauffage par jour, soit l’équivalent de 4 stères environ.

Certes, il y eut des améliorations pour faciliter le transport et la vidange des bois. C’est à la fin du 19ème siècle que sera réalisé un réseau plus important de véritables chemins forestiers en Grésigne tandis que, par ailleurs, seront adjugés les premiers baux d’une chasse à tir au début de la Troisième République, parallèlement aux premiers lâchers de chevreuils après un siècle réservé aux grands équipages d’une chasse à courre prestigieuse. Dans le même temps, les agents des Eaux-et-Forêts mettront en application la gestion d’une sylviculture plus rationnelle dans une Grésigne encadastrée avec un parcellement précis, régulant l’entretien et l’exploitation des coupes, renouvelées par la voie de la futaie en semis et non du taillis provenant des rejets, tandis qu’apparaîtront les premiers pins sylvestres. Débardage et transport de bois se feront exclusivement par traction animale jusqu’en 1925. Ils seront remplacés peu à peu par des camions et les premiers moteurs à explosion équiperont quatre scieries mobiles à partir des années 1930. Ces modifications amélioreront la gestion de la forêt de la Grésigne aux plans technique et financier, mais ne changeront guère, ni la gestion des activités qui s’y déroulent, ni la nature des produits prélevés.

Une longue période de transition entre la forêt traditionnelle et la forêt actuelle

Ces cent années qui courent du Second Empire à la fin de la Troisième République apparaissent donc comme une époque de lente transition en ce qui concerne l’aménagement et les techniques d’exploitation forestière et, par-delà, la représentation que les Grésignols ont de leur forêt.

Economiquement, les adjudicataires des coupes annuelles de bois qui sont alors au nombre de 8 à 10 exploitants forestiers, originaires des villages voisins de Bruniquel, Castelnau-de-Montmiral, Larroque, Penne, Puycelsi et Vaour, montrent que la Grésigne reste liée à une clientèle exclusivement locale jusqu’à la fin de la Guerre 1939-1945. La plupart des produits (charbon de bois, traverses de chemin de fer, poteaux de mines et bois de chauffage pour l’essentiel) ne sont guère expédiés au-delà des villes du nord-Toulousain et des départements limitrophes du Tarn.Il faudra attendre les années 1980-1990 pour que participent aux adjudications des entreprises éloignées, venant par exemple de Dordogne ou des Alpes, afin d’emporter les coupes de bois d’œuvre, laissant aux quatre entreprises forestières locales des coupes de bois de bien moindre qualité destinés à l’industrie du papier (Papèterie de Saint-Gaudens), voire au chauffage.

Cependant, les Grésignols restent attachés à leur forêt. La pratique des droits d’usage demeure encore pour la population une tradition dont la survivance est marquée par les demandes réitérées des communes limitrophes sollicitant les autorisations de ramassage du bois mort ou bien de pacage estival dont la dernière pratique aura lieu pendant les années de sécheresse succédant à la Seconde Guerre Mondiale. Les carnets journaliers des gardes forestiers conservent jusqu’à la fin du 19ème siècle, le témoignage de procès-verbaux sanctionnant vols de bois et autres délits forestiers.

Dans la forêt domaniale de Grésigne, propriété privée de l’État, le ramassage des champignons qui poussent en abondance de temps à autre, reste une tolérance accordée par l’État au public des villes voisines du Tarn et du Tarn-et-Garonne qui apprécient le plaisir de la recherche autant que la qualité gustative des cèpes, girolles et oronges que la forêt produit peu ou prou chaque année au gré de la pluie et de la température. Une pousse exceptionnelle se produit une seule année sur dix en moyenne de façon généralisée.

Les droits de chasse en Grésigne seront mis en adjudication, pour la première fois, dès le début de la Troisième République en 1881, et sont acquis par de riches fermiers qui peuvent en payer la caution et la redevance annuelle. Cette chasse de privilégiés est très mal vue des chasseurs locaux, tous petits propriétaires, qui jalousent les 25 invités qui tuent un gibier se nourrissant à partir des cultures établies sur leurs terres limitrophes de la forêt souvent dévastées par les sangliers. Aussi, lorsque vers les années 1920, après la Première Guerre Mondiale, les sangliers abondent et détruisent les récoltes, la colère paysanne gronde et les Conseils municipaux alentour feront cause commune pour demander des dommages et intérêts à l’administration des Eaux-et-Forêts et prendre des délibérations vengeresses à l’égard des riches titulaires des droits de chasse en Grésigne, étrangers au pays.

Amorce d’une nouvelle fonction sociale, touristique et culturelle de la Grésigne

Expression d’une volonté populaire affirmant la mémoire d’une autre forme d’appropriation collective de l’espace forestier grésignol, des fêtes sont organisées régulièrement au début de l’été à la Grande Baraque entre les deux Guerres, après 1920,  par un comité intercommunal des fêtes de Grésigne. Ces manifestations festives forestières, auxquelles l’administration des Eaux-et-Forêts donne son aval pour que le Préfet du Tarn les autorise au centre de la forêt, « avec interdiction toutefois de tirer des fusées et de faire partir des montgolfières» (6) constitue les prémisses de la naissance du tourisme urbain autour de Grésigne, avec l’apparition des premières automobiles.

Ces fêtes de Grésigne ne reprendront ensuite qu’en 1959, année où H. Ibanez, Président du tout nouveau Syndicat d’Initiatives de Puycelsi-Grésigne, programme une fête populaire à la Grande Baraque à la date du 30 août, avec une pièce de théâtre musical (l’Arlésienne), jouée en soirée avec l’orchestre symphonique et le groupe folklorique d’Aquitaine, avant qu’un repas champêtre et un bal populaire ne réunissent une foule joyeuse de convives et de danseurs dans cette belle clairière centrale aménagée au cœur de la forêt.

Mais les fêtes populaires de la Grande Baraque et les chasses prestigieuses en Grésigne ne sont que « l’arbre qui cache la forêt » ; une forêt qui sera délaissée lors de la crise économique et financière des années 1930, où les activités artisanales et agricoles de l’environnement rural périphérique vont irrémédiablement décliner, provoquant le ralentissement des travaux forestiers que le marasme et la profonde dépression de l’entre-deux guerres ne feront qu’aggraver.

Il y aura un regain d’activités en Grésigne qui ne sera que très provisoire durant quelques années, pendant et après la Guerre 1939-1945, suite à la pénurie des matières premières énergétiques et aux besoins de la reconstruction. On rappela alors en Grésigne toute une main d’œuvre ariégeoise et étrangère (Espagnols et Italiens). Selon les témoignages oraux que nous avons recueillis, on vit réapparaître des huttes et des abris, plus que sommaires, de ces travailleurs forestiers, bûcherons et charbonniers de métier, dont les effectifs passagèrement importants faisaient dire à plusieurs de ceux et celles qui ont vécu cette période que « Grésigne était de nouveau comme un village »(7).

Ainsi, cette période d’au moins cent ans qui courent de 1850 à 1960, correspond à une évolution contrastée d’une vie et d’une activité forestière en Grésigne, liée aux contingences d’une époque caractérisée par de profondes et lentes transformations d’un monde rural traditionnel en perte de vitesse et voué à disparaître pour faire place à une société d’un type nouveau où le rapport villes-campagnes sera totalement modifié.

Mais le rythme plus que séculaire d’une écologie forestière, où le cycle naturel des futaies de chênes atteint et dépasse même 150 années, est resté insensible aux vicissitudes des contingences humaines. A l’image des pierres qui servirent à la construction des villages établis sur son pourtour, villages que les progrès récents de la modernité aussi bien que les aléas de l’histoire des temps présents ont abandonné à leur isolement avant que le tourisme ne les remette en valeur aujourd’hui, la Grésigne est restée impassible dans un contexte naturel qui en fait sa beauté, souhaitant qu’un souci écologique récent veille à la préserver.

ADMINISTRATION ET GESTION FORESTIERES DE LA FORET DE GRESIGNE

Au début du 19ème siècle, la reprise de la création de la voirie forestière (depuis le pont de la Lèbre jusqu’au Pas de la Lignée) devenue le CD 87 impliquait la mise en place d’un réseau de routes départementales desservant depuis la Grésigne les gares de Bruniquel et de Penne sur la ligne de voie ferrée Montauban-Lexos à partir de 1858, mais aussi la gare de Gaillac sur la ligne Lexos-Toulouse à partir de sa mise en exploitation le 24 octobre 1864 qui allait faire disparaître tout transport fluvial sur le Tarn à partir du port de Gaillac.

Ce désenclavement de la Grésigne par les aménagements complémentaires des routes départementales aboutissant aux voies ferrées exigea la traction animale pour effectuer le débardage des bois ainsi que de nombreux charrois pour leur transport routier, avant que la traction mécanique commence à prendre le dessus grâce au perfectionnement des tracteurs et des camions à partir des années 1920-1930.

Les chemins départementaux créés dès le Second Empire permettent le désenclavement routier de la forêt de Grésigne

Pas plus qu’elle n’est aujourd’hui directement accessible par le réseau des grandes routes et autoroutes nationales, la Grésigne ne put jamais être directement desservie ni par les voies romaines, ni par l’une ou l’autre des cinq « Grandes Routes Royales » sous l’Ancien Régime, devenues plus tard « Impériales », lesquelles desservaient l’Albigeois dans le nord du Département du Tarn et le Rouergue ou le Quercy dans les départements voisins, avant et après la Révolution. Parmi ces anciennes routes dites royales, puis impériales, qui furent ensuite classées « nationales » au cours du 19ème siècle, trois passaient par Gaillac et faisaient de cette ville, outre son port, un passage obligé de désenclavement des coupes de bois de Grésigne

  • la Route n°88 de Lyon à Toulouse, passant par Le Puy, Rodez, Baraqueville, Carmaux, Albi et Gaillac, Rabastens, Saint-Sulpice( N 88 actuelle),
  • la Route n°99 d’Aix à Montauban passant par Nîmes, Millau, Saint-Affrique, Alban, Albi, Gaillac et Salvagnac (CD n°999 actuel),
  • la Route n°122 de Toulouse à Clermont-Ferrand passant par Aurillac, Figeac, Villefranche-de-Rouergue, Laguépie, Cordes, Cahuzac-sur-Vère et Gaillac (CD 922 actuel).

Avant la Révolution, à la fin de la période de l’inféodation de la forêt royale au Comte de Maillebois en 1774, nous avons déjà signalé les aléas qui avaient retardé l’exécution du premier désenclavement routier par l’aménagement de la route allant de Gaillac à Bruniquel, route qui fut rendue totalement carrossable pour traverser la forêt à partir des années 1825 seulement, permettant aussi bien l’accès à l’Aveyron que l’accès au Tarn pour le flottage des bois. Toutes les coupes de Grésigne pouvaient en effet être débardées et vidangées à partir de cette route forestière transversale, depuis le Pont de la Lèbre jusqu’au Pas de la Lignée en passant par la Grande Baraque et les Terrassiols, ce dernier lieu-dit en Grésigne dénommant le carrefour où fut établie la bifurcation routière vers Vaour par le Pas de Haute Serre.

Ce premier axe routier Gaillac-Bruniquel desservant la forêt selon son axe médian nord-sud (actuel CD n° 87), déjà tracé et commencé par le Comte de Maillebois après l’abandon du projet du canal de la Vère en 1772, divisait la Grésigne en deux parties est et ouest sensiblement égales et fut accompagné dans les années qui suivirent, jusqu’en 1860, par la création de « chemins dits de grande communication » ou « chemins d’intérêt commun », classés « routes départementales » en 1899. Ce fut le cas, au cours des années 1845-1850, des chemins nouvellement construits autour de la forêt, notamment la route n° 29 de Cordes à Monclar (8), passant par Itzac, le Verdier et Puicelcy,ainsi que la route de Cordes à Saint-Antonin passant par Vindrac, Tonnac et le dolmen de Vaour.

Le tronçon de la route classée N° 14 (CD n° 964 actuel Gaillac-Caussade) allant du Pont de la Lèbre sur la commune de Castelnau-de-Montmiral vers Puycelsi, Larroque fut prolongé jusqu’à la gare de Bruniquel pour donner accès au chemin de fer Lexos-Montauban achevé en 1858 par la Compagnie Paris-Orléans. Ce prolongement du « Chemin n° 14 depuis le village de Larroque facilita l’exportation des bois de Grésigne par voie ferrée vers Montauban et la vallée de la Garonne », mais aussi vers les mines de Capdenac par voie ferrée en remontant le cours de l’Aveyron par Saint-Antonin, Laguépie et Villefranche-de-Rouergue.

Au cours de cette période active de création de voies ferrées au milieu du 19ème siècle, la Grésigne connaîtra l’apogée de l’emploi car elle était source d’approvisionnement important pour les traverses de chemins de fer ainsi que pour les poteaux soutenant les galeries de houille des bassins miniers de Carmaux et de Décazeville, et la livraison de bois et de charbon aux forges de Bruniquel. On peut se faire une idée de la circulation des bois d’après le comptage journalier comparatif des attelages[ix] qui étaient en 1863 au nombre moyen de « 115 colliers entre Gaillac et la limite du Tarn et Garonne » et de « 76 colliers entre le Pont de la Lèbre et Grésigne ».

Cette exportation des bois par voie routière pour atteindre le port de Gaillac et, plus tard, la voie ferrée grâce à chacune des gares de Bruniquel ainsi que celle de Penne à partir de 1858, puis la gare de Gaillac sur la ligne Lexos-Toulouse mise en exploitation à partir de 1864, favorisa alors l’installation de nombreux charrons (« roudiès ») de par la présence locale de de voituriers et charretiers, et plus encore de forgerons-maréchaux-ferrant pour les animaux de trait mais aussi pour les nombreux muletiers locaux exerçant ce pittoresque métier autour de la Grésigne. Selon Raymond Granier, la ferme de Pont-Bourguet à Puycelsi disposait d’une douzaine de muletiers qui,sous le Second Empire, descendaient le minerai de fer issu du causse de la Janade, sur le dos de ces rustiques animaux de bât, jusqu’aux Forges de Caussanus à Bruniquel. Les charbonniers assuraient d’autre part le transport du charbon de bois vers les villes voisines, tandis que les « Carretayrés » se chargeaient de celui du merrain exporté par les gabarres circulant depuis Gaillac vers Moissac sur le Tarn lorsqu’il était destiné au vignoble de Bordeaux, en plus du merrain réservé aux tonneliers installés dans toute la zone viticole du Gaillacois.

Pour le transport du merrain depuis la Grésigne jusqu’à Gaillac, on remettait aux charretiers des bons de livraison numérotés sur des cartons de petites dimensions, indiquant au recto le nom et prénom de chacun de ces transporteurs, précisant« pour chaque charretée de merrain à sortir de la coupe pratiquée dans tel ou tel triage de la forêt », que « ladite charretée est composée de 202 douves longailles et de 101 douves fonçailles ». Réutilisant ces bons de livraison comme cartes à jouer, celles-ci figuraient au verso les symboles de trèfles, de piques, de carreaux ou de cœurs, dessinées à la main par ces charretiers, grands joueurs de manille et de belote.

Bons de livraison transformés en cartes à jouer

Jusqu’aux années de l’après-guerre de 1914-1918, ces « carretayres », spécialisés dans le débardage et le charroi des bois étaient établis dans les hameaux situés en bordure sud-ouest de la Grésigne, à Mespel et aux Abriols notamment, avant de disparaître peu à peu lorsque la traction animale fut remplacée par les chevaux-vapeurs des premiers camions dont les roues étaient équipées de bandages pleins avant l’apparition des premiers pneumatiques.

Création des chemins d’exploitation forestière en forêt de Grésigne : la Route de la Plégade (1873 à 1875)

Une fois achevé l’aménagement de ces axes routiers extérieurs et des voies ferrées proches favorisant le désenclavement de la Grésigne vers les bourgades et les villes voisines, c’est vers la fin du Second Empire seulement que commencèrent la réalisation de chemins forestiers à l’intérieur de la forêt en vue d’améliorer la vidange des bois exploités dans les divers triages où se pratiquaient des coupes jusque-là difficiles à vendre puisque longtemps privées de voies de desserte.

Ainsi, par exemple, le chemin forestier partant du Chemin de Grande Communication n°14 (C.D. n° 964 Gaillac-Caussade actuel) au droit du hameau de Valès (commune de Puycelsi) puis longeant la vallée du Rô Occidental jusqu’au Pont de la Tuile pour y rejoindre la Route Départementale n°87 au carrefour de la Grande Baraque, ne fut aménagé qu’au début des années 1860.Nombreuse devait être la main-d’œuvre occupée à ouvrir cette route puisque le Préfet du Tarn autorisa le 21 janvier 1861 un certain Jean Mathieu, cultivateur aux Grèzes, commune de Puycelsi, « à faire au bord de ce chemin une loge en planches pour débiter aux ouvriers liquides et comestibles et pour leur servir d’abri et de cantine »[x].

Quant à la belle Route Forestière de la Plégade, ayant une longueur de 5 950 mètres, reliant depuis l’entrée dans la forêt à partir du Pas de Layrol le carrefour avec la Route de la Martinio au Pont du Renard, elle constitue le prolongement dela route passant dans le hameau de Mespel pour aboutir à Saint-Martin d’Urbens sur le CD 964. Elle dessert également le chemin forestier passant à l’ancienne verrerie de Lissard et arrivant au hameau des Abriols, après avoir reçu au Rond-Point de la Plégade (dont elle porte le nom) la route venant de Puycelsi par le Pas du Sauze. La réalisation de cet important chemin forestier, desservant la partie ouest de la Grésigne, donna lieu à un différend entre l’administration des Eaux-et-Forêts et l’entrepreneur chargé de sa construction.

Les travaux de création de cette Route de la Plégade furent confiés en régie le 10 février 1873 au « Sieur Barthe, Entrepreneur », pour trois lots successifs qui devaient être réalisés « en 1873 pour 20 000 francs, en 1874 pour 24 000 francs, et en 1875 pour 23 735,96 francs, soit au total 67 735,96 francs ». Mais il y eut des imprévus et le grès pris sur place ayant dû être remplacé par du matériau calcaire pour terminer l’empierrement de la chaussée, bien moins pentue que la côte voisine dite de Côte de Tire-cul, il y eut contestation des prix fixés par le cahier des charges. L’administration des Eaux-et-Forêts dut donc revoir à la hausse le coût de la Route Forestière de la Plégade, dont la nouvelle répartition des travaux fut arrêtée selon les prix ci-dessous donnant lieu à une nouvelle rémunération pour l’entrepreneur :

  • Terrassements : 22 444, 23 francs
  • Empierrement de la chaussée : 41 842, 78 francs
  • Ouvrages d’art : 25 993, 18 francs.

Cette réévaluation du coût de construction ne dut pas cependant satisfaire l’entrepreneur Barthe qui, après la fin des travaux, fit grief à l’administration du retard qu’elle apporta au piquetage de la route et de la lenteur qu’elle mit à lui accorder l’autorisation de transporter des matériaux de remplacement. Retards qui se traduisirent, selon ses dires, malgré le versement de salaires plus élevés, par l’abandon de nombre de ses ouvriers attirés par de meilleurs salaires offerts par les forges de Bruniquel à l’occasion de la réouverture de leur haut-fourneau. Ce qui provoqua l’arrêt des travaux. A la suite de quoi l’entrepreneur Barthe réclama à l’administration des dommages et intérêts.

Quoiqu’il en soit, « le Conseil de Préfecture dans ses séances tenues à Albi les 10 juin, 18 juillet et20 août 1881, rejeta les réclamations dudit Sieur Barthe qui demandait un dédommagement de 19 229,95 francs, arrêtant que l’administration lui paiera la seule somme de 300 francs pour les intérêts de droit sur les sommes lui restant dues à compter du 30 août 1878 ».

La Route de la Plégade s’acheva donc, tant bien que mal, mais le Sieur Barthe, qui acceptait fort mal d’avoir eu à revoir les salaires de ses ouvriers à la hausse sous l’effet de la concurrence des forges de Bruniquel, porta ensuite l’affaire au Ministre des Transports qui le débouta définitivement de ses plaintes en octobre 1884.

Surveillance et entretien de la voirie forestière en forêt de Grésigne

Nous venons de voir ci-avant un exemple parmi d’autres qui montre, hors de l’aspect conflictuel de ce type de marché, combien la création de chemins forestiers en Grésigne était difficile au cours de la seconde moitié du 19ème siècle. Ces travaux routiers induisaient en compensation l’occupation d’une main-d’œuvre locale nombreuse qui se procurait des revenus supplémentaires grâce à ces durs et pénibles chantiers occasionnels, réalisés à la force des bras avec l’aide d’attelages composés de divers animaux de trait ou de bât.

En contrepartie de la création de cette infrastructure routière, l’exploitation de nouvelles coupes de bois était rendue possible en devenant plus facile et plus attractive en Grésigne, et les prix obtenus lors des adjudications n’en étaient que plus élevés pour les caisses de l’Etat. Le maintien de routes forestières fonctionnelles pour assurer la vidange des bois est l’une des missions des gardes-forestiers qui font appliquer une règlementation très stricte afin de les conserver en bon état. Les travaux d’entretien que nécessitaient ces routes, plus ou moins solidement empierrées, incombaient pour une large part aux exploitants forestiers déclarés adjudicataires des coupes, lesquels se voyaient obligés d’acquitter, en sus du prix d’adjudication des lots vendus, une somme supplémentaire correspondant aux « charges pour entretien des voies de vidange », ce que n’appréciait guère certains qui pouvait en contester la cause.

C’est ainsi que le 31 août 1867, « le Garde Général de Grésigne, Jean-Baptiste Trouillet, met en recouvrement par voie d’huissier la somme due par le Sieur Gazagnes Ulysse demeurant à Montmiral, pour 25 journées d’ouvriers évaluées à 37,50 francs pour travaux de remise en état des chemins utilisés, à la suite de l’adjudication du 23 octobre 1865 qui lui avait accordé la coupe de futaie au lieu-dit las Tounes, dont le Sieur Cazes Alexis de Saint-Beauzile se porta caution pour honorer les traites de cette vente s’élevant à 4 550 francs ».

Le rapport entre l’estimation forfaitaire des réparations à faire aux chemins servant à leur vidange par rapport prix fixé lors de l’adjudication était alors négligeable puisqu’il apparaît dans ce cas de l’ordre de 0,8% du prix d’achat de la coupe ! Mais sur les procès-verbaux d’adjudication des lots vendus en 1930, ces charges atteindront 5% de la valeur des coupes.

Concessions de droit de passage sur la voirie forestière en forêt de Grésigne

A la sortie de la guerre 1914-1918, l’entretien et la surveillance des chemins en Grésigne restaient le souci permanent de l’administration des Eaux-et-Forêts. Tous les exploitants de coupes de bois empruntant les chemins de Grésigne, y compris ceux qui devaient utiliser la voirie forestière à des fins d’exploitation de bois privés riverains de la forêt domaniale, étaient tenus de demander le droit de passage en s’engageant à y faire les réparations adéquates[xi] après usage, une fois les coupes achevées et enlevées aux dates convenues. Ainsi, des « concessions de passage », prises par voie d’arrêtés du personnel forestier, autorisaient de nombreux particuliers à circuler, eux et leurs attelages, sur les chemins situés en Grésigne, moyennant finances ou prestations en nature, définies de façon pointilleuse.

Nous relevons, par exemple, la lettre d’un certain Mercadier de Puycelsi s’adressant au représentant de l’administration forestière en avril 1919 afin d’obtenir un droit de passage en Grésigne « pour enlever 8 stères de bois et 500 fagots de la propriété de Monsieur Fabre ». Cette autorisation lui est accordée « à titre de tolérance, puisqu’il n’a pas d’autre issue que d’utiliser un chemin forestier sur 200 mètres, à charge pour lui de faire ses charrois avant le 30 juin 1919 moyennant 2 francs de redevance et l’ engagement de remettre les lieux en état ».

Il en va de même en 1924 pour Jean-Pierre Kurgoualle, demeurant à Castelnau-de-Montmiral. L’autorisation qui lui est consentie fait l’objet d’un arrêté stipulant « le paiement d’une redevance de 50 francs par an à verser avant le premier septembre, et l’apport d’un mètre cube de pierre cassée valant 30 francs à l’anneau de 0,06 (6 cm), en contrepartie de la permission d’emprunter la Route Forestière de Littré pour exploiter un taillis riverain ».

Plus précises étaient encore les conditions arrêtées le 22 décembre 1927 par le Garde-général de la Grande Baraque à Tabarly Ulysse, domicilié aux Abriols, commune de Larroque, « autorisé pour 2 ans à passer avec son camion de 4 tonnes sur la route de Montoulieu et de la Plégade jusqu’au Sauze à raison de 5 passages par mois sur 8 kilomètres, mais tenu de réparer les dommages par apport, aux lieux indiqués, d’un mètre cube de gravier au prix de 45 francs le mètre cube, plus 55 francs de redevance annuelle ». Au demeurant, il s’agit ici, en 1927, d’un témoignage intéressant qui mentionne l’une des premières apparitions d’un transport motorisé du bois en Grésigne.

A la sortie de la forêt, il en résultait que les chemins classés dans la voirie rurale appartenant aux communes limitrophes et servant à la vidange du bois des coupes faites en Grésigne, étaient soumis à des déprédations importantes, causées aussi bien par le roulage des premiers véhicules à moteur que par celui des charrettes tractées par l’énergie animale. Ainsi qu’en attestent les délibérations de nombreux Conseils municipaux, des plaintes furent alors exprimées auprès du Préfet du Tarn, à l’instar de celle émanant du Maire de Puycelsi le 17 mai 1925 faisant valoir « le mauvais état du chemin vicinal n°5 dit du Rô sur une longueur de 4 641 mètres », ce à quoi, les services préfectoraux, ne voulant rien savoir, objectèrent par lettre datée du 7 juillet suivant « que l’entretien dudit chemin incombe à la Commune ».

Persistance des droits d’usage en forêt de Grésigne

Que survienne la sècheresse ou bien que s’annoncent les froids d’un hiver rigoureux, et voilà nos populations grésignoles qui retrouvent la mémoire, lointaine déjà, de ces anciens temps où leurs ancêtres avaient, selon leur appartenance à telle ou telle communauté riveraine, soit le droit d’une forêt-pâturage où leur bétail pouvait se nourrir en Grésigne, en y menant paître leur chèvres et boucs, en profitant de la glandée pour leurs porcs, soit en y rassasiant mulets ou bêtes à cornes pendant la durée de ramassage du bois ou de la coupe de bois.

Depuis les amendes et restrictions infligées par les jugements de Froidour en 1667, depuis aussi les dédommagements accordés sous forme d’indemnités par l’administration forestière à quelques héritiers ou ayant-droit d’anciennes familles nobles, sinon depuis les refus catégoriques du Préfet du Tarn d’indemniser les anciennes communautés limitrophes, refus définitivement sanctionnés ensuite par le procès retentissant que la Commune de Puicelcy mena envers l’Etat de 1827 à 1852, tous ces droits d’usage confisqués en Grésigne auraient pu être définitivement abandonnés et comme relevant de l’histoire ancienne. Mais ce ne fut pas le cas !

De nombreuses délibérations municipales révèlent le contraire, comme celle prise en date du 8 novembre 1836 par le Conseil municipal de Puicelcy confirmant bien la suppression du droit de pacage à cette époque, puisqu’il fut demandé explicitement au Préfet « de lever la défense d’introduire des bestiaux en forêt, afin que ceux-ci puissent s’y nourrir des herbes abondantes et nutritives ». Et ce, est-il ajouté « moyennant rétribution », ce qui excluait déjà la notion de privilège, notion disparue puisque attachée à la gratuité (ici non exigée) de l’exercice des droits d’usage.

Le cycle des sècheresses estivales des années 1870 permettra également aux élus municipaux des communes limitrophes de retrouver leur pugnacité pour de nouvelles réclamations, malgré l’échec de celles qui furent exprimées en vain par leurs prédécesseurs sous le Premier Empire et sous la Restauration. En effet, au cours de ces années politiquement agitées, nous assistons de nouveau à la demande renouvelée des droits de pacage en forêt, moyennant indemnités, ainsi que le stipulait les dispositions de l’Ordonnance de 1829, y compris aussi pour le ramassage du bois-mort. Nous n’avons trouvé aucune mention du montant de ces indemnités pour ces autorisations qui furent accordées sous la pression collective d’une paysannerie locale, faisant valoir le prétexte de grosses difficultés à nourrir le bétail suite à une pénurie de foin et d’herbe due à l’absence de pluies au cours du printemps et de l’été 1870 ; été agité et historique qui va s’achever le 4 septembre par l’établissement de la Troisième République, avec la déchéance de Napoléon III et la capitulation de Sedan devant l’armée prussienne de Bismarck.

Devant la montée d’une opposition républicaine résolue, animée par Gambetta et ponctuée de grèves dures depuis 1867 où Napoléon III fait tirer sur les ouvriers et fait jeter en prison les dirigeants de l’Internationale, les évènements militaires et politiques de l’année 1870, qui verra la Commune de Paris et l’épisode sanglant de la répression versaillaise, sont autant d’évènements qui font retrouver aux petits paysans grésignols la mémoire de ces droits d’usage collectifs que détenaient leurs aïeux en Grésigne.

Le comportement licencieux et peu respectueux de nombreux paysans larguant leur bétail sans contrôle dans la forêt domaniale, ajouté à la perversion et à la manœuvre malhonnête de quelques riches et gros propriétaires prompts à vouloir s’enrichir sur le dos des plus miséreux, allaient motiver de nouveau le refus du pacage des animaux en Grésigne par l’administration départementale.

La scandaleuse spéculation née des autorisations de pacage en forêt dans les années 1870

Il y eut, en premier lieu, des abus licencieux et irresponsables de nombreux riverains dont les troupeaux occasionnèrent des dégradations à la végétation arbustive, y compris par coupe généralisée du sous-bois dans certains tènements de Grésigne afin que le feuillage des arbres, une fois abattus, puissent servir de complément de nourriture au bétail lâché dans toute la forêt sans surveillance.

C’est ce que laisse supposer la lettre du Maire de Montmiral datée du 3 juillet 1870 demandant au Préfet « l’autorisation pour chaque propriétaire de mener paître ses bêtes en Grésigne sans faire appel à des pâtres communs ». Le Préfet lui répond négativement en faisant référence « à l’article 118 à 119 de l’Ordonnance du Premier Août 1829 précisant qu’il appartient au Conseil Municipal de choisir les pâtres communs et de dresser l’état du nombre des animaux confié par chaque propriétaire à chacun de ces pâtres ». Le Maire de Montmiral dut donc s’obliger à inscrire le salaire de ces « pâtres communs » sur son budget communal…si tant est toutefois que ces pâtres furent effectivement désignés… et ensuite effectivement présents auprès du bétail en forêt pour en assurer la garde ! On peut douter cependant de l’efficacité et du sérieux de ces gardiens d’animaux puisqu’à la suite de la sècheresse renouvelée de l’été 1874, le Garde général de la Grande Baraque émettait un avis négatif auprès du Conservateur régional des Eaux-et-Forêts, lequel opposa à son tour un refus catégorique, cette fois, à la commune de Sainte-Cécile du Cayrou, prétextant qu’il y a tout lieu d’éviter « que l’opération de pâturage de 1870 et ses désordres puissent recommencer ».

Cette formulation motivée du refus du Conservateur au Maire de Sainte-Cécile du Cayrou, dans sa lettre du 6 août 1874, était fondée sur la gravité et l’illégalité d’évènements autrement plus répréhensibles, commis quatre années plus tôt dans la Grésigne. L’explication de l’avis négatif du Garde général et du refus du Conservateur nous est donnée de façon claire dans la correspondance du Préfet du Tarn adressée aux Maires des Communes de Larroque et de Puicelcy en 1874 et ayant pour objet son refus du renouvellement du droit de pacage et, par là même, l’accès du bétail de leurs administrés en Grésigne. Il argue du fait que « lors de la sècheresse estivale de l’été 1870, les gros propriétaires de Larroque et de Puicelcy achetèrent les animaux aux petits propriétaires démunis de foin et lâchèrent ces troupeaux en Grésigne sans pâtre commun, provoquant de graves désordres en forêt suite à ces spéculations commerciales ».

L’année 1874 marqua ainsi la fin de la réclamation officielle des droits de pacage en Grésigne. Pour nourrir leur cheptel, les paysans grésignols évitèrent peu à peu de risquer des actes de délinquance car ils avaient déjà introduit davantage de prairies artificielles dans leurs assolements, faisant place à une rotation où intervenaient les cultures fourragères de sainfoin et de luzerne sur les sols calcaires et sur les terres-forts des causses, tandis que les champs de trèfles violets avaient remplacé de plus en plus la jachère sur certains sols acides des ségalas de Vaour. Par ailleurs, la généralisation de la culture de la pomme de terre et des betteraves fourragères depuis la fin du 19ème siècle, ainsi que le développement de la culture du maïs avaient déjà relégué la glandée à un âge ancien pour l’élevage des porcs.

Les transformations de l’agriculture sur les lisières de la Grésigne, illustrées par les statistiques relevées pour le canton de Vaour par exemple (12), où les prairies artificielles progressèrent très vite passant de 190 hectares en 1850 à 250 hectares en 1855 puis à 430 hectares en 1863 pour atteindre 600 hectares en 1870, contribueront dès lors à satisfaire de plus en plus les besoins alimentaires des animaux d’élevage. De ce fait, les diverses formes de pacage estival seront de moins en moins nécessaires. Il en résultera des relations moins heurtées des éleveurs avec l’administration des Eaux-et-forêts laquelle a toujours considéré, à juste titre, que l’introduction d’animaux en forêt était une cause grave de dégradation pour la végétation arbustive. Notons cependant que cette pratique estivale de faire paître le bétail en forêt a repris encore, de façon occasionnelle, au cours de la dernière Guerre 1939-1945 et des années très sèches qui l’ont suivie jusqu’en 1949, notamment dans la partie de la Grésigne limitrophe à la commune de Sainte-Cécile du Cayrou.

Quant aux rares cas, signalés en bordure de Grésigne jusqu’au début du 20ème siècle, d’essartages pour détruire la végétation forestière, à dates répétées et régulières en vue de la culture sommaire de menus grains, d’avoine ou de paumelle, il faut souligner que ces pratiques de brûlis pratiqués depuis longtemps sur des terres à genêts soumis à une jachère décennale correspondent à des souvenirs liés à des temps fort reculés, depuis le Moyen Age où les défrichements des bois étaient effectués de cette manière sur les lisières de la forêt.

Le ramassage du « bois mort gisant » se pratiquait en Grésigne en 1878…mais de façon discriminatoire à l’encontre des Pennols

Par lettre du 14 août 1878, le Maire de Puicelcy réclamait encore au Préfet du Tarn «le droit pour ses habitants à prendre du bois mort gisant en Forêt, droit fondé sur l’arrêt du 21 avril 1853 »,tel que le rappelait selon lui le compromis par lequel s’acheva le long procès opposant l’administration des Domaines de L’Etat et la commune de Puicelcy, qui stipulait en outre une condition très réductrice selon laquelle ce droit ne pouvait être exercé dorénavant que «sans la présence et l’aide d’animaux de trait ou de bât ». Dans sa réponse du 4 septembre suivant, le Préfet du Tarn donna son aval à la requête du Maire de Puicelcy sous réserve que celui-ci demanda expressément « la délivrance d’une autorisation en bonne et due forme pour ses administrés, sinon les habitants de sa Commune, surpris en forêt, seraient considérés comme des délinquants »… Cette « délivrance » exigeait au préalable le versement d’une taxe spéciale, remplaçant l’ancienne « albergue » collective qui figurait sur chaque budget annuel de la Communauté de Puicelcy sous l’Ancien Régime au titre de la « mande royale » et qui s’élevait toujours à « 23 livres » pour l’année 1789, dernière année où elle fut réglée par le Consulat pour « les Pechcelsiols et les Roucanels », avant que cette imposition disparaisse et ne figure plus sur le budget voté par la première municipalité mise en place en Février 1790.

Prenant à son compte l’autorisation accordée aux habitants de Puicelcy en 1878, le Maire de Penne ne voulut pas demeurer en reste, et sollicita à son tour le même avantage pour les Pennols. Mais, pour ces derniers, le Préfet du Tarn avait gardé la mémoire des courriers adressés par le Maire de Penne à son prédécesseur sous le Premier Empire. Ce fut donc sans la moindre crainte de faire œuvre d’une injuste discrimination entre le nord et le sud de la Grésigne, par lettre du 18 décembre 1878, que le Préfet du Tarn refusa au Maire de Penne l’autorisation sollicitée en lui précisant que « seuls, les habitants des Communes de Montmiral, Puicelcy et Larroque ont droit à prendre en forêt du bois mort gisant »!

Stricte surveillance des quantités de bois-mort-gisant et procès-verbaux à l’encontre des voleurs de bois en forêt de Grésigne

Sauf pour Penne, la pratique du ramassage du « bois-mort gisant » continua encore quelque temps puisque les quantités de ce médiocre bois de chauffe pouvant être prises en Grésigne faisaient l’objet d’une estimation, ainsi qu’en témoigne « l’ordre du Garde Général de la Grande Baraque au Garde Forestier du Triage du Sauze ( dit Triage n°2) ». Celui-ci nota ainsi sur son « livret journalier » en date du premier mars 1889 (13), une quantité de bois égale à «11 charretées » dont il précisait la nature, la provenance et l’emplacement comme suit :

« 4 de ramilles provenant du nettoiement à Saint-Clément,

2 de vieilles souches et débris de coupes à la Martinio,

3 de souches mortes provenant d’éclaircies au Pech de l’Aigle,

2 de branches mortes tombées à terre à Montoulieu ».

Ce dénombrement précis montre la surveillance pointilleuse que pratiquaient les gardes de Grésigne sur le « bois-mort gisant », soit à des fins de cession aux particuliers qui devaient préalablement en obtenir l’autorisation en faisant enregistrer leur demande auprès du Maire de leur commune et en s’acquittant d’une taxe, soit à des fins de repérage pour en vérifier le vol éventuel.

Certains pauvres bougres, en effet, ne s’embarrassaient pas toujours de satisfaire aux procédures permettant d’obtenir des autorisations légales pour le ramassage du bois mort en forêt … C’est ainsi que, le 21 octobre 1899, « les gardes forestiers Jalbaud Guy et Portes Joseph y surprirent lesdits Fabre François (75 ans), Marie son épouse (40 ans), Cécilien (18 ans), Elie (15 ans), ces derniers, fils de la Dame Rémésy à Puicelcy, lesquels accompagnent l’attelage d’un mulet, avec 2 stères et demie de bois sur la charrette ». Le « procès-verbal n° 10 », que ces deux gardes de Grésigne inscrivent, cette année-là, sur leur « livret journalier », ne peut que nous rappeler les démêlés et la violence ressortant du procès-verbal établi en l’an 2 (le 6 Septembre 1793) par « le garde Nicolas Petit » à l’encontre d’un certain « Antoine Trégandit Camisard et de son neveu », lesquels levaient (déjà !) la hache sur le représentant des Eaux-et-Forêts, dans « le Triage de Périlhac ». Un siècle plus tard, les Grésignols gardent toujours la main trop leste !

Le procès-verbal ci-avant, daté de l’an 1899, établi par les gardes forestiers Jalbaud et Portes, mentionnent en effet qu’au terme « d’une première lutte pour saisir l’attelage », il y eut une échauffourée entre les deux représentants des Eaux-et-Forêts et les quatre maraudeurs « Fabre lève la hache, mais il est appréhendé et on s’empare de sa hache ». Ce n’est ensuite qu’après « une seconde lutte indispensable pour saisir l’attelage » que les deux gardes sont obligés « d’abandonner le tout » car, nous est-il indiqué, « tous les quatre délinquants se sont accrochés à la charrette » que le pauvre mulet n’est plus alors assez fort pour faire avancer !

Au demeurant, le même Fabre et son équipe seront récidivistes, puisqu’ils seront de nouveau appréhendés quinze jours plus tard, le 4 novembre 1899, « surpris à couper et à fendre le bois de 2 trembles et de 5 chênes morts sur pied », indique ce second procès-verbal. Les délinquants « continueront néanmoins leur travail comme si rien n’était » sous les yeux des gardes interloqués qui notent sur leur carnet journalier que « Fabre leur déclare se moquer de la prison ».

Jusqu’à la fin du 19ème siècle, les voleurs de bois en forêt de Grésigne manifestent toujours à l’égard des gardes forestiers la même haine et ne craignent guère de s’opposer à eux, voire même n’hésitent pas à les menacer directement de façon dangereuse. Ainsi, entre 1793 et 1899, la mentalité des Grésignols délinquants n’a guère évolué et les conditions de vie misérables provoquent les mêmes réactions de défense émanant d’un même comportement d’insoumission vis-à-vis des représentants de l’ordre. Ils estiment en effet que les produits font partie de leur patrimoine collectif, jugeant qu’ils ont le droit de s’approprier le bois-mort selon des us et coutumes qui ont perduré durant de longs siècles. Rappelons que dans son « procès-verbal d’avis pour le Règlement des Coupes des Forêts de la Maîtrise Particulière de Toulouse », Froidour écrivait déjà que« Les habitants des lieux de Puicelcy, Penne, Castelnau de Montmiral, Verdier, Saint-Beauzile, Vieux, Lamotte et Rouyré, sous prétexte de leurs droits d’usage en Grésigne, se prétendent en être les propriétaires et en font effectivement comme de leur propre » !

Les derniers charbonniers de Grésigne

Pour les décennies 1920 et 1930 jusqu’à celles de 1940 et 1950, nous évoquerons ces charbonniers de Grésigne, vivant pour nombre d’entre eux « dans leur hutte de grillon creusée dans les contreforts des talus, campement de fortune mais riche de valeur pour cet homme frustre qui vit en gros béret, en blouse et en sabots ». Ce sont bien là ces travailleurs de la forêt, durs à la tâche,que nous représentent les cartes postales de l’époque, vivant sans hygiène et sans confort dans ce milieu forestier particulièrement hostile à la vie des hommes.

Qui cependant mieux que Marcel Carrier (14) saura décrire avec bonheur les bruits de cette Grésigne charbonnière et ses odeurs ?« Une odeur de mottes brûlées se laisse amener par la brise. Au-delà de la crête, le feu couve et s’étend au sein des meules de rondins empilés. Le charbonnier règle l’appétit de la flamme. Son visage d’homme des bois s’éclaire d’un sourire à la vue d’un charbon léger aux sonorités métalliques ».

Ce travail de charbonnier était un art, reléguant tous nos procédés industriels modernes de fabrication d’un médiocre charbon de bois à la combustibilité réduite, obtenu avec des déchets de scierie jetés pêle-mêle dans de vilaines cuves de fer.

La charbonnière reconstituée dans un des jardins de Puycelsi mais sans la couche de terre externe. Ses dimensions sont plus réduites que les meules construites en forêt.

Comme les gentilshommes verriers de Grésigne, les vrais charbonniers de Grésigne maîtrisaient l’art du feu et ils n’étaient pas du monde de ces « brûleurs de bois ». Le choix de l’emplacement de la charbonnière nécessitait la proximité d’un approvisionnement en eau pour éteindre le charbon obtenu. La science du charbonnier, basée sur une longue expérience, était de savoir conduire les étapes d’une combustion lente et régulière. Les charbonniers-bûcherons construisaient une meule avec ces bûches de chêne et de charme issues de l’éclaircie des gaulis et des perchis, ou bien provenant des houppiers des arbres de haute futaie préalablement débités et fendus. D’un coup de mascotte, sec et bien ajusté, ces bûcherons-charbonniers savaient adapter la dimension du morceau de bois à l’emplacement réservé et choisi pour laisser le moins possible d’espaces vides autour de la cheminée centrale de la charbonnière. La meule de bois était ensuite recouverte d’une couche de terre végétale, terre souvent noircie par les charbonnières précédentes.

La charbonnière terminée avait la forme d’un tronc de cône, mesurant 5 à 6 mètres de diamètre à la base et 2 mètres de hauteur environ.

Dès sa mise à feu, la charbonnière était nourrie par la cheminée centrale avec des apports de bois supplémentaires dont les braises et la chaleur dégagée arrivaient par approche (mais surtout sans flamme !) à faire consumer progressivement l’ensemble des bois constituant la meule, en évitant que le feu réduise en cendres le labeur d’une semaine de travail préalable.

Les trous d’aération aménagés à bon escient sur le pourtour de la meule de bois, la surveillance de la couleur des fumerolles dégagées ici et là, l’appréciation de la température de la couverture extérieure grâce au toucher de la main, exigeaient des soins constants pour que la charbonnière couve et digère son bois en le transformant en charbon. Le moindre changement de la direction ou de la force du vent pouvait perturber la régularité et l’homogénéité de la savante combustion à partir de laquelle on retirait un kilogramme de charbon pour 5 de bois.

Enfin, une charbonnière réussie était celle où il fallait quelques seaux d’eau seulement pour obtenir l’étouffement définitif d’une combustion tirant à sa fin. Après quoi on retirait les morceaux de bois entièrement carbonisés mais conservant leur forme initiale, et qu’il fallait briser ensuite en morceaux pour procéder à l’ensachage.

Après ce dur labeur, la vente du charbon obtenu se pratiquait directement par le charbonnier lui-même, aidé par les membres de sa famille, en le colportant de maison en maison dans toutes les villes voisines.

Ainsi que l’un de ses fils nous en a fait témoignage, son père, petit exploitant forestier et marchand de bois et de charbon, dont la famille venue de Fontblanque (commune de Penne) s’installa à Puycelsi entre les deux guerres, partait pour la semaine avec l’un de ses enfants, voire davantage, pour un long périple de distribution et de vente directe aux ménagères. Le voyage les conduisait de ville en ville jusqu’à Fumel en descendant la Garonne, puis remontait la vallée du Lot jusqu’à Cahors, avec un chargement de 5 tonnes de sacs de charbon sur une charrette tirée par deux chevaux. Le véhicule ainsi tracté disposait sous le plancher de sa partie-avant d’un hamac de toile appelé « le porte-fainéant ».

Bien que cela soit interdit par la loi, le conducteur de l’attelage qui devait marcher à côté du cheval de tête en lui tenant la bride, abandonnait souvent ce poste pour se glisser dans le « porte-fainéant ». Là, se reposant d’une marche fatigante, il pouvait piquer un petit somme compensateur… sachant qu’il pouvait alors compter sur la vigilance de l’attelage composé de deux bourrins intelligents auxquels le charbonnier accordait toute sa confiance. En effet, aux dires de leurs propriétaires, les chevaux, non seulement connaissaient la route depuis longtemps, allant même jusqu’à s’arrêter devant les meilleures auberges du circuit (les seules dignes d’accueillir nos charbonniers aussi durs à l’ouvrage qu’ils savaient bien se tenir à table !), mais avaient la précieuse faculté de hennir dès qu’il sentaient venir de très loin les chevaux de la Gendarmerie, vraisemblablement alertés par l’odeur de la graisse utilisée par les agents de la maréchaussée pour faire luire les sabots de leurs montures.

Le visage et les mains noircies par la poussière du charbon de bois, ces Grésignols étaient fiers de leur métier, même si leurs clients les considéraient un peu comme des traîne-misère, voire même se les représentaient comme des êtres un peu frustres, venus du fin-fond de leur forêt, et que l’on traitait souvent avec condescendance. Pour se venger peut-être, les charbonniers de Grésigne savaient alors tromper leur client sur le poids de leur marchandise, et voici comment. De l’un des crochets fixé à l’une des extrémités de la « romaine » à laquelle ils suspendaient leur sac de charbon pour en connaître le poids, était attachée une corde qui pendait négligemment jusqu’au sol. En soulevant avec l’épaule l’instrument servant à la pesée, il suffisait de poser le bout du pied sur le bout de la corde qui, une fois tendue à souhait, permettait au charbonnier de faire vérifier à la cliente, sur la tige graduée de la romaine, un poids du sac de charbon sur-évalué de quelques kilos, on s’en doute ! Et ce, d’autant plus discrètement que les charbonniers portaient une longue blouse traînant jusqu’au sol, blouse on ne peut plus utile pour camoufler le stratagème de leurs porteurs.

LA CHASSE EN GRESIGNE

Sujet passionnel, la chasse a été fréquemment en forêt de Grésigne et autour de la Grésigne, source de discorde et de jalousie, d’autant plus qu’elle est restée, dans cette forêt, le symbole de l’un des privilèges des familles nobles jusqu’à la fin du Second Empire et ensuite l’apanage de riches fermiers venant des villes voisines, à l’encontre de ceux qui pratiquaient la chasse banale dans les communes limitrophes.

Parmi les curiosités de l’histoire cynégétique locale, on cite la générosité du Comte de Toulouse cédant ses droits de chasse aux seigneurs de Penne, à l’exception de la chasse au faucon qu’il affectionnait particulièrement. Occupation favorite de nos Rois de France, la chasse constitua longtemps un loisir réservé aussi aux anciens seigneurs de notre région. Plus exactement, « seuls les seigneurs hauts justiciers jouissaient du Droit de chasse et du Droit de pêche » ainsi que le stipulait un arrêt du Parlement de Toulouse en date du 18 mars 1729, renouvelant en cela les prohibitions déjà prononcées en 1597, 1601 et 1669. Ce n’est qu’au début du 19ème siècle, en effet, que les droits de chasse en forêt domaniale de Grésigne firent l’objet d’attributions spécifiques pour désigner les bénéficiaires de baux de neuf ans.

Interdiction du droit de chasse en forêt de Grésigne

La législation de l’Ancien Régime prévoyait dans les forêts royales de lourdes amendes pour les délits forestiers de chasse ou de pêche, soit « 30 livres pour le premier délit de chasse avec fusil et chien, 100 à 200 livres pour le second » tandis qu’à la troisième récidive, « le coupable encourait le carcan et le bannissement pour 3 ans du ressort de la Maîtrise des Eaux-et-Forêts». Une Ordonnance prise le 25 novembre 1761 par le Duc de Fitz-Jammes, Commandant en chef dans la Province de Languedoc, interdisait « à tous habitants, manants, paysans et métayers, de garder chez eux, sous quelque prétexte que ce soit, fusils, pistolets, épées et couteaux de chasse, de laisser vagabonder leurs chiens, de détruire les nids de perdrix, de tendre des lacets » (15). Mais les lourdes peines prévues n’empêchaient pas cependant les braconniers d’être légion, jusques et y compris parmi nos braves curés de campagne, à l’instar de « Raymond Frézals, Curé de Saint-Vergondin, poursuivi par la justice de Penne », qui fut condamné le 19 juin 1753 « à 100 livres d’amende envers le seigneur justicier dudit Consulat, et en outre, aux dépens de la procédure, épices et frais d’expédition et signification de la sentence, le tout montant à 43 livres 18 sols 8 deniers » (16).

Jusqu’à la Révolution, loisir protégé pour une classe oisive, proclamé privilège exclusif à tous autres bénéficiaires, la chasse fut donc l’apanage des anciens représentants de la féodalité, au même titre que le droit de posséder des garennes et des pigeons sur tout le territoire des communautés était lié au ban seigneurial. Cependant, il arrivait que la prolifération des animaux nuisibles, hors de la forêt, donne exception à la règle. Ce fut le cas des sangliers qui ravagèrent tout le Gaillacois en 1702. Leur multiplication en Grésigne fut à la base de plaintes généralisées auprès de Lamoignon de Basville, Intendant du Roi Louis XIV à Montpellier :

« Plaintes portées par le Syndic des Petits Etats Albigeois pour les habitants des Villes et Communautés de Castelnau-de-Montmiral, Lisle, Gaillac et lieux circonvoisins de la Forêt Royale de Grésigne, se plaignant que les sangliers de ladite Forêt font des dégâts considérables aux fruits de leurs terres, …à ne pouvoir faire de récoltes pour payer les tailles et charges leurs biens, … à quoi ils ne sauraient remédier si Votre Grandeur ne leur permet de tirer sur eux hors desdites forêts et sur leurs terres ».

La Révolution accorde le droit de chasse aux manants

Le droit de chasse qui fut accordé sur leurs terres aux propriétaires par les lois de la Révolution ne calma pas pour autant les revendications des riverains locaux au cours des siècles qui suivirent.

Déjà dans les Cahiers de Doléances établis en Mars 1789, figuraient les protestations typiquement paysannes contre les dégâts faits aux cultures aussi bien par le gros gibier que par les pigeons et les lapins de garenne appartenant aux seigneurs, dégâts aggravés par le droit de poursuite que s’octroyaient ces derniers avec leurs chevaux et leurs chiens, y compris au travers des champs portant moisson ou vignes prêtes à vendanger.

Il fallut attendre le décret du 11 août 1789 faisant suite à la fameuse nuit du 4 août pour abolir les privilèges féodaux, décret précisant :

article 2 : le droit exclusif des colombiers est aboli. les Pigeons seront enfermés aux époques fixées par les Communautés , et durant ce temps, ils seront considérés comme gibier, et chacun aura le droit de les tuer sur son terrain

article 3 : le droit exclusif de la chasse et des garennes ouvertes est pareillement aboli, et tout propriétaire a le droit de détruire et faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier …».

Ce même décret prévoyait d’autre part l’amnistie des peines infligées pour délits de chasse, peines qui prévoyaient, en cas de récidive répétée plusieurs fois, l’envoi aux galères !

L’extension du droit de chasse par les lois révolutionnaires à l’ensemble des propriétaires donna lieu immédiatement à une pratique immédiate et frénétique de cette activité, pourvoyeuse de bonne chair mais hélas ! accompagnée aussi de divers abus que les nouvelles Municipalités élues en février 1790 durent réprimer par la nomination de garde-chasses assermentés. Ainsi procéda, par exemple, le 27 juin 1790, le premier Maire élu de Puicelcy, Maffre Farjanel Oncle, qui motivait sa décision aux notables de son Conseil municipal de la façon suivante : « je ne dois pas vous dissimuler non plus que la chasse dans ce pays, telle qu’elle se faisant, soit abusive et pernicieuse à bien des particuliers, non seulement par l’abus qu’ils font de la chasse, mais parce qu’elle leur sert de prétexte pour aller enlever et dévaster les fruits de la campagne ».

Ce droit récemment acquis par la Révolution et fort apprécié de nos populations rurales, cette frénésie de chasse prit cependant rapidement fin lorsque la Convention réquisitionna les fusils et suspendit la vente de poudre par la loi du 11 mars 1793. Le nombre de fusils que possédait la population rurale aux débuts de la Révolution est plus que surprenant et nous conduit à penser que le braconnage du gibier était chose courante pour de nombreux Grésignols depuis longtemps. Ceux-ci utilisaient aussi leurs « pétoires » pour protéger leur basse-cour et leurs champs cultivés contre les animaux sauvages, voire même contre les loups qui infestaient la Grésigne et dont quelques-uns furent encore tués au cours du 19ème siècle. Le fait est que, datée du 3 septembre 1795, une délibération de l’Assemblée communale de Puicelcy « réclamait au District de Gaillac les 147 fusils réquisitionnés à ses administrés en 1792, considérant que les blaireaux et autres bêtes fauves (cerfs, chevreuils) dévastent les récoltes et que les renards portent un préjudice notable aux gens de la campagne sur leurs volailles ». Proportion élevée que ces 147 détenteurs de fusils relativement aux « 460 feux » (donc chefs de famille) dénombrés alors à « Puicelcy-la-Montagne ».

Cette réquisition des armes de chasse eut lieu de nouveau pendant la seconde guerre mondiale sous le Gouvernement de Vichy, pour limiter les risques de résistance face à l’occupant allemand. Conséquence, la reprise immédiate des actes de chasse par certains chasseurs qui ressortirent leur fusil des cachettes, dès le jour où fut prononcé la Libération le 8 mai 1945.

Le 19ème siècle, âge d’or de la vènerie en Grésigne

La Grésigne, forêt réputée giboyeuse, fut convoitée pendant longtemps par les familles nobles de la région pour y pratiquer l’art de la vènerie. Exercée sur une propriété forestière royale, aussi bien durant l’Ancien Régime que sous la Restauration et le Second Empire, la chasse en Grésigne résultait d’une faveur que le Roi ou l’Empereur accordait.

Dans son livre sur « L’art de la Chasse » paru en 1724, Trémolières affirme que « le noble et puissant Duc d’Arpajon » chassait déjà en Grésigne. Au vu d’un acte enregistré par le Parlement de Toulouse en 1752, « le Comte de Belle-Isle obtint du Régent Philippe d’Orléans la concession des Droits de Chasse en Forêt de Grésigne à partir du 29 décembre 1720 » (16). Dès 1800, « Le Comte Hyppolyte de Solages… dans sa tenue verte des louvetiers de l’an IX avec gilet noir et culotte de cuir ivoire… chasse le loup en Grésigne avec une meute de 20 gascons saintongeois » indique Decorsière (17).

Quelques années plus tard, lors de sa prise de fonction, dans le procès-verbal de reconnaissance daté du 25 janvier 1818, le nouveau Garde général de Grésigne rapporte qu’en Grésigne « la chasse aux sangliers est donnée à Monsieur d’Ouvrier, seigneur de Bruniquel, Capitaine de Louvèterie, lequel vient mettre aux abois le sanglier dont sa formidable meute a trouvé la quête ». Voilà bien un garde-forestier dont le style de rédaction dénote qu’il devait apprécier la menée bruyante et la voix sonore de chiens courageux et vaillants, poursuivant dans ces superbes taillis et futaies de Grésigne ces dangereuses bêtes noires aux défenses meurtrières

Meute en Grésigne

Le Comte d’Huteau, Baron de Montmiral, était titulaire à la fin de l’Ancien Régime des droits de chasse dans l’ancienne forêt royale de Sivens en sus des mêmes droits qu’il détenait sur l’ensemble des terres de ladite Communauté, droits qu’il faisait respecter par ses propres gardes.

Avec la formation de la « Société de la Forêt de la Grésigne » par le père du Comte Hippolyte le Bon, la Grésigne restera, de 1835 à 1890, le domaine d’une chasse à courre prestigieuse, réservée aux équipages entretenus par diverses familles de la noblesse régionale, jusqu’à l’instauration de la Troisième République. Y succèdera « le Rallye de Grésigne », fondé par Charlet de Rieu en 1890, dont le chalet de chasse était à Fonbonne et sa meute entretenue au chenil de Haute Serre jusqu’en 1914. Pour forcer chevreuils, cerfs, sangliers, renards et lièvres, divers célèbres équipages appartenaient à Monsieur de Vise habitant près de Muret (Haute-Garonne), au Comte Gaspard de Puysségur à Rabastens,au Comte d’Ouvrier de Bruniquel etc.

De fait, les adjudications des droits de chasse en Grésigne (18) se succédèrent ensuite tous les 9 ans, selon des modalités et conditions différentes :

  • adjudication du 23 décembre 1889 : Monsieur Millenet Osmin (avocat à Montauban), avec la caution du Comte de Puysségur (habitant à Rabastens) et de Monsieur Ruffel Eugène (propriétaire à Gaillac), fut déclaré adjudicataire des 2 lots « à compter du premier juillet 1890 jusqu’au 28 février 1899 pour la chasse à tir et jusqu’au 30 avril 1904 pour la chasse à courre ». Les fermages annuels étaient de « 570 francs par an pour le premier lot de 1 427 hectares attenant aux communes de Penne, Saint-Beauzile, Sainte-Cécile du-Cayrou et Montmiral », et de « 830 francs par an pour le second lot de 1819 hectares attenant aux Communes de Penne, Larroque et Puycelsi ».
  • adjudication du 21 décembre 1898 : les deux lots, définis pour la précédente adjudication de 1889, furent accordés pour le même fermage annuel de « 500 francs chacun, l’un à Monsieur Chabret du Rieu à Réalville et l’autre à Monsieur Millen et Osmin avec leurs cautions conjointes et réciproques ».

Quant au célèbre châtelain de Fontbonne, Charlet du Rieu, la mémoire des gens du pays a retenu ses libéralités. Chaque fois qu’il partait pour la chasse avec ses sonneurs et ses piqueurs. cet homme, légèrement handicapé, mettait systématiquement la main à la poche pour donner une piécette à la personne qui payait de sa personne pour le mettre en selle. Et un jour, cette piécette fit l’émerveillement du jeune homme qui l’aida à monter à cheval car ce fut un louis d’or ! Aux dires d’autres personnes qui le tenaient aussi de leur aïeul, ce riche châtelain louait un train complet en gare de Penne afin de transporter sa meute de chiens et les chevaux de ses invités, pour aller courir le gros gibier dans les forêts du département du Gers.

La chasse à courre en forêt de Grésigne, avec ses valets de pied, ses « piqueux » et ses sonneurs de trompes, tous portant livrée de leur équipage, connaîtra un renouveau en 1946 avec le Rallye Gaillardet spécialisé pour le chevreuil, mais surtout à partir de la création en 1965 du « Rallye Malamort » qui bénéficia à partir de 1979 de 12 cerfs par an, uniquement mâles, dont la taille et le poids avaient été améliorés par le croisement de cerfs importés en Grésigne de la forêt de Fontainebleau.

Citons pour mémoire la meute du forgeron Fernand Fontanilles à La Capelle (commune de Puycelsi) qui participa à de nombreuses épreuves nationales pour le laisser-courre au lièvre.

A la suite d’un procès, le Rallye Malamort fut écarté de l’adjudication de la chasse à courre en Grésigne au profit du rallye « L’Equipage de Grésigne » en 2004. Ce dernier, ayant poursuivi en novembre 2007 un cerf jusque dans le jardin d’un particulier situé dans le hameau des Abriols et l’ayant tué hors de la Grésigne, déclencha un conflit qui l’opposa à de nombreux adversaires des pratiques de la chasse à courre. Malgré ce regrettable incident, la chasse à courre continue par ailleurs à donner lieu à divers fantasmes que l’on cherche encore de nos jours à préserver. Ainsi se tient chaque année la messe de la Saint-Hubert dans l’église de Sainte-Cécile du Cayrou sise en bordure de la forêt, à laquelle assiste l’aristocratie de la Corporation de la Saint-Hubert, composée de cavaliers gantés de blanc, accompagnés de leurs sonneurs en livrée avec leur cor en bandoulière, ainsi que nombreux chiens de meute exceptionnellement admis parmi eux pendant l’office.

Le braconnage, pratique traditionnelle des pays grésignols

Les archives écrites des pays grésignols, ainsi que les derniers témoignages oraux récupérés sur les traditions cynégétiques dans le Tarn par Daniel Loddo auprès de personnes âgées (19), montrent bien la permanence et l’importance de la chasse aussi bien que des diverses formes de braconnage dans les trois cantons de Castelnau-de-Montmiral, Vaour et Cordes.

De tous temps, le petit peuple rural de nos pays grésignols fut réputé pour avoir la fibre braconnière. Après ceux qui, avant la Révolution, bravaient l’interdit des gardes-chasse de leur seigneur local ou bien des gardes forestiers, les braconniers riverains de la Grésigne ont toujours pensé que le gibier qui vivait sur leur terres au détriment de leurs récoltes, leur revenait quels que soient les moyens utilisés pour le capturer, afin de préparer civets ou grillades. Ces formes culinaires étaient accompagnées de cèpes et de girolles poussant en Grésigne et dans les bois alentours, réputés pour leur qualité et leur goût excellent, servis avec les bons vins rouges du terroir. Ces vins rouges vieillis en fût de chêne, élaborés à partir de cépages anciens où le duras et le braucol, tenaient déjà le haut du pavé lorsqu’ils mûrissaient sur ces sols de rougiers dévalant depuis la Grésigne sur les pentes de la Vère.

Les documents que nous allons citer se rapportent à des faits de chasse survenus sur les lisières de la forêt de Grésigne, où ces mêmes délits étaient aussi commis par d’agiles braconniers montmiralais qui chassaient déjà au fusil avant la Révolution, avec des « chiens courants » ou des « chiens couchants » (chiens d’arrêt), ainsi que les désignaient les procès-verbaux d’Antoine Rainal en 1764 et de Jean Penchenat en 1782, tous deux « gardes de la Baronnie de Montmiral ». Le premier garde-chasse cité, Antoine Rainal, consignait dans son rapport :« Après avoir entendu le coup de fusil et accouru où le coup avait été tiré, j’ai vu le 12 janvier 1764 le nommé Jean Gay Fils qui a tiré un lièvre. Nous lui avons représenté le tort qu’il avait à chasser comme un cas très préjudiciable aux Droits du Seigneur Baron de Castelnau-de-Montmiral ». Quelques semaines après, le 28 février 1764, le même garde-chasse dresse le constat d’un nouveau délit. Il s’agit cette fois de « Jean Donnadieu, vu, qui chassait au lieu-dit le Vignal où il a tiré un coup de fusil à une compagnie de perdrix dans la vigne du nommé Antoine Laugat, tailleur d’habits à Montmiral ». Le second garde-chasse cité, Jean Penchenat, surprenait le 29 avril 1780 « les nommés Andrieu dit lou Gendrou et Antoine Delmas qui chassaient aux chiens courants, près de la Crouzarié, dans le territoire de la Baronnie, portant chacun leur fusil. Nous étant approchés, indique le procès-verbal, ils mirent leur fusil sur le cou et prirent la fuite ».

(Photo du Comité Départemental de Tourisme du Tarn)

Par ailleurs, la pratique des privilèges et des droits d’usage reconnus aux populations riveraines pour s’approprier bois, glands et pacage, a toujours été l’occasion pour les usagers de placer quelques collets assassins. Ce qui fut puni de nombreuses sanctions. Aussi, les rapports entretenus par la population locale avec les gardes-champêtres tout autant que ceux vécus avec les représentants de l’administration des Eaux-et-Forêts, ont connu bien des tensions et des conflits car la capture du gros gibier a toujours donné lieu aux représentations et aux pratiques les plus passionnelles.

La chasse populaire et le braconnage ne relèvent pas, dans nos Pays grésignols, que de la passion, du seul plaisir et d’une distraction découlant d’un savoir-faire ancestral pour prendre le gibier, mais aussi de la satisfaction de besoins alimentaires, voire festifs et gastronomiques. Les diverses techniques de braconnage nocturne au filet (à la « tirassa ») ou bien à la lampe (à « la luminada ») avaient pour but de se procurer à la veille de Noël quelques succulentes brochettes de merles, de tourdes et de passereaux que l’on pouvait se procurer aussi avec des « tendes » (pierres plates mises en équilibre). La chasse à l’affût (« a l’espèro ») permettait à toute époque, outre l’utilisation de collets « cedous » et de dangereux traquenards, de profiter de civets de lapin et de lièvre, voire même de chevreuil ou de sanglier.L’une des préoccupations constantes des paysans de nos régions a été aussi, grâce à l’art du piégeage (savoir-faire aujourd’hui disparu), de se débarrasser de la « sauvagine » fréquentant leurs poulaillers, tout en limitant en même temps le nombre des prédateurs de gros ou petit gibier. Ceux-ci étant à leur tour piégés lorsque la protection des récoltes était menacée par une surpopulation de sangliers ou de lapins.

Adjudication de la chasse en forêt de Grésigne : des droits convoités ... et des fermiers jalousés !

L’adjudication des droits de chasse en Grésigne, mise en place au début des années 1880, ne devait pas tarder à créer une vive opposition entre les petits paysans locaux et les riches citadins qui pouvaient se payer cette location de la forêt. Dès le début du 20ème siècle, les sangliers proliférant dans les communes périphériques à la forêt de Grésigne furent de nouveau accusés de causer de gros dégâts aux cultures. Les petits propriétaires cultivateurs profitèrent de l’occasion pour se plaindre avec véhémence des riches fermiers de Grésigne, dont ils nourrissaient gratuitement le gros gibier. Leur but était d’obtenir une indemnisation qui ne fut reconnue aux agriculteurs riverains par les Eaux-et Forêts qu’après bien des réclamations. Au titre d’une juste compensation des dégâts qu’ils avaient à supporter, les plaignants allèrent même jusqu’à exiger pour les propriétaires riverains l’octroi gratuit du droit de chasse en Grésigne !

Les adjudications de la chasse à tir en forêt de Grésigne

Dans un style très différent de la chasse à courre, précédée par des agapes où prônent la soupe paysanne et une charcuterie abondante arrosée d’un Gaillac rouge bien corsé, la chasse à tir en Grésigne reste aussi l’expression d’une rusticité recherchée, que trahit cependant la veste de chasse ou le couvre-chef cédant à la dernière mode. Ce qui n’atténue qu’en partie les relents autrement plus roturiers que dégage aujourd’hui cette chasse à tir exercée par nos modernes Nemrod, tuant à balle les sangliers débusqués par un piqueur aguerri qui a fait le pied de bon matin pour préparer le lancer. Si le plan de chasse réserve à ces actuels « fermiers de Grésigne » quelques daguets et cerfs, les « cochons » qui constituent l’objet de leur passion ne sont plus souvent, aujourd’hui, que des descendants de ces sangliers d’élevage, croisés à partir des vrais sangliers sauvages qui, eux, avec leur très long groin rectiligne et leur échine étroite, sont en voie de disparition pour laisser place à des suidés au groin concave, au dos large et au jambon rebondi, provenant de croisements regrettables.

C’est le 27 janvier 1881 que les droits de chasse en Grésigne firent l’objet d’un première adjudication ouverte au public (20), stipulant un bail de 9 ans pour tirer « lièvres, lapins, perdrix et bécasses » (curieuse énumération !) dans deux lots situés l’un « à l’est de la route départementale n°14 où l’adjudicataire pourra s’adjoindre 4 co-fermiers », l’autre « à l’ouest de la route départementale n°14 où l’adjudicataire pourra s’adjoindre 5 co-fermiers ». La limitation du tir au petit gibier pourrait être étonnante si elle ne nous était expliquée dans une lettre adressée au Préfet du Tarn le 18 juin 1912 par Monsieur Champeaux, Conservateur des Eaux-et-Forêts à Carcassonne lequel confirme au représentant du Gouvernement l’intérêt « d’une demande d’abreuvoirs pour chevreuils en proposant 3 barrages pour l’ensemble du massif faisant 3 529 hectares ». Cette demande résultait d’un vœu du Conseil général du Tarn daté du 26 septembre 1911 souhaitant la protection des chevreuils, précisant « qu’il n’existe en Grésigne que depuis une vingtaine d’années où il a été introduit par les fermiers d’alors », c’est-à-dire par les premiers adjudicataires sus-nommés en 1881, mais « que ces chevreuils ne peuvent se désaltérer en été qu’en sortant de la forêt pour aller à la Vère », au risque de tomber ainsi sous le coup de braconniers ou de chasseurs riverains.

Jusqu’à l’adjudication d’un lot unique, le 19 février 1929, où un certain Maurel Gabriel habitant la commune des Cabannes emporta le marché pour « un seul lot à tir et à courre de 3 258 hectares », dont le fermage annuel était fixé à « 16 100 francs » , avec la possibilité d’organiser la chasse pour « 25 invités ». Dans les années 1970-80, les adjudications de la chasse à tir s’élevaient à plus d’une centaine de millions d’anciens francs contre trois millions pour la chasse à courre.

Parallèlement au nombre des invités, la proportion des revenus provenant de la location des droits de chasse en Grésigne est allé en augmentant par rapport au revenu procuré par l’adjudication des coupes. Ainsi ils ne représentaient qu’une faible partie du prix de vente total des coupes de bois, soit 1 à 2 % avant 1900, puis ils s’élevèrent à 10% vers les années 1930 pour atteindre aujourd’hui des sommes quasiment égales à 25% des ventes de bois.

La contestation des droits de chasse en forêt de Grésigne et les dégâts occasionnés aux récoltes par les sangliers

Tout se serait passé au mieux pour ces chasses forestières si, avant et après la Première Guerre Mondiale, dans les années 1905 à 1907 puis dans les années 1925 à 1928, les Conseils municipaux des Communes périphériques de la Grésigne, porte-parole fidèles des plaintes émises par les petits et moyens cultivateurs-propriétaires riverains, passionnés de chasse, n’avaient à leur tour exprimé leurs doléances, suite aux dégâts occasionnés par les sangliers dans les cultures.

Avec une parfaite et touchante communion de vues, les Maires et Conseillers municipaux des diverses Communes grésignoles rédigèrent alors des délibérations adressées au Préfet, en réclamant que « le Cahier de charges de la chasse en Grésigne renferme une clause obligeant les fermiers à payer de légitimes indemnités en compensation des dommages faits aux cultures » et, même n’hésitant pas à demander« en tout temps le libre exercice de la chasse en forêt domaniale de Grésigne ». Exigence qui montre autant le degré de frustration des plaignants que leur juste requête pour être indemnisés.

A ces revendications qui laissent poindre la motivation véritable qui anima les auteurs de ces délibérations municipales (21) prises à Vaour le 17 septembre, à Castelnau-de-Montmiral le 14 novembre et à Puycelsi le 9 décembre 1907, l’administration eut beau jeu de répondre en s’engageant du bout des lèvres à « délivrer des licences individuelles de chasse en Grésigne à quelques propriétaires riverains comme marque de bienveillance à leur égard », décision discriminatoire fort habile pour faire taire certains contestataires bien choisis parmi les plus virulents…

Cependant, ceci n’était que reculer pour mieux sauter et les mêmes doléances et réclamations recommenceront au cours des années précédant l’expiration du bail de chasse des fermiers de Grésigne en 1929. Une pétition des propriétaires avait déjà été transmise au Préfet le 17 mai 1925, pétition accompagnée par les délibérations concordantes renouvelées le 17 mai et le 11 juin de cette année-là par le Conseil municipal de Castelnau-de-Montmiral (22), et par ceux des autres Communes limitrophes.

Très significative sera encore la réclamation exprimée par le Conseil municipal montmiralais, allant jusqu’à demander au Préfet dans sa réunion du 26 février 1928, « le libre exercice de la chasse en forêt pour détruire les sangliers » et revendiquant par la même occasion, « la suppression de la location de la chasse en Grésigne ». Cette dernière prétention était exprimée « dans le cas de non-abrogation du Droit de Chasse en Grésigne », étant alors demandé expressément en contrepartie à l’administration « de faire obligation aux fermiers du Droit de Chasse de payer des indemnités aux propriétaires riverains en dédommagement des dégâts aux cultures causés par les sangliers, pour éviter des procès longs et ruineux ».

Saisi de cette affaire, le Ministre de l’Agriculture refusa tout net par lettre du 6 juin 1929 de prendre en considération ces réclamations qui nous en disent long sur les relations peu amènes et pour le moins ambigües qui ont toujours, peu ou prou, existé entre les riches fermiers de la chasse en Grésigne et les petits propriétaires riverains. Nous retrouvons ici la mémoire de ce que furent longtemps les rapports tendus et litigieux en matière de chasse et de braconnage, d’une part entre les seigneurs locaux puis l’administration des Eaux-et-Forêts assistés de leurs gardes, d’autre part les roturiers de la paysannerie et de l’artisanat des Pays grésignols.

Le braconnage en forêt de Grésigne persista donc, soit pour se dédommager en nature des dégâts commis par le gros gibier réputé se nourrir aux frais des cultures riveraines, soit pour le plaisir de s’octroyer par des moyens différents, certes irréguliers, ce que d’autres privilégiés pouvaient se payer par des baux adjugés au plus offrant.

Mythes et réalités

Dans la demi-obscurité qui envahit chemins et sentiers dans les sous-bois pentus de la Grésigne, parcourus jadis à pied par les bûcherons à l’aube naissante pour se rendre à leur chantier puis au crépuscule pour revenir à leur village, l’ambiance est favorable à l’interprétation de nombreuses formes et de divers bruits. Et de nos jours, la relation orale des personnes âgées qui ont passé leur vie à travailler en Grésigne n’est pas sans nous surprendre. Leurs témoignages faisant référence à des faits qui se seraient déroulés « avant la Guerre de 1914 » ( ?) relèvent de la rumeur et du « qu’en-dira-t-on » autant que de la galéjade. Par exemple, ce serait par les pieds (mais oui !) que tel garde forestier, particulièrement actif et efficace contre les spécialistes des collets, se retrouva suspendu à l’arbre qu’un habile braconnier avait courbé pour y attacher le câble de bicyclette qui devait servir de lacet destiné à étrangler le chevreuil ou le sanglier de passage ! Bien plus grave dans ce genre d’affabulation, un autre garde, pendant la guerre I914-1918, aurait même été « non seulement menacé, mais blessé du côté de Saint-Paul-de-Mamiac », par une dangereuse équipe de braconniers dont on prétend qu’ils avaient pour coutume de tirer d’abord des coups de fusil en l’air pour dissuader les gardes de les poursuivre avant de les prendre ensuite dans leur ligne de mire s’ils persistaient à rester à leurs trousses !

Quelles ne furent pas également durant les années de guerre 1940-1945, plus vraisemblablement vécues et racontées ici et là, ces scènes de braconnage accomplies ensemble par braconniers et gardes forestiers réunis d’un commun accord, pour remplir leur garde-à-manger respectif de cuissots de chevreuils ou de sangliers au cours de ces périodes de restrictions ? Ou bien encore ces rencontres inattendues au détour d’un chemin forestier en Grésigne, survenues nuitamment, entre les braconniers portant sur l’épaule le chevreuil abattu de façon clandestine, et un couple de gardes ramenant, eux aussi, une prise illicite, capturée de façon tout aussi illégale !

Ne parlons pas enfin de ces pêches aux écrevisses, autant clandestines que fabuleuses ! Ecrevisses qui abondaient dans les Rôs et les moindres ruisselets de Grésigne et qui, appartenant à une espèce locale très protégée, furent largement victimes de braconnages nocturnes réalisés à la balance ou bien avec des fagots amorcés de têtes de mouton parfumées à l’essence de térébenthine ! Si dans chaque famille basque, la coutume voulait qu’il y ait nécessairement un curé et un contrebandier, il était de tradition que chaque famille grésignole compte au moins, outre ses chercheurs très avertis en matière de cèpes et girolles, un braconnier expert dans l’art du piégeage.

Après que l’on ait introduit les premiers cerfs élaphes en 1956, animaux qui se sont très bien adaptés étant donné que leur nombre a pu atteindre plus de 500 têtes en Grésigne actuellement (ce qui est un effectif trop important pouvant mettre à mal l’équilibre forestier), le braconnage nocturne a été remplacé par la venue en forêt de nombreux automobilistes de toutes les villes voisines pour écouter le brame si particulier de ces cervidés mâles durant les nuits de pleine lune en fin septembre début octobre. N’est-ce pas là, pour ces amoureux de la forêt de Grésigne et des animaux les plus prestigieux de sa faune, l’occasion de retrouver l’émotion, voire même le frisson, qu’éprouvaient les braconniers animés de motivations et d’objectifs, certes très différents, lorsque ceux-ci pratiquaient leurs délits nocturnes de chasse à l’approche ou à l’affût ?


  1. Jean-Louis Vincq, Revue du Tarn n° 101
  2. La forêt de Grésigne abritait un maquis pendant l’occupation allemande lors de la Seconde Guerre mondiale. Ce maquis international, commandé par Karl Matiszyk, était constitué de résistants essentiellement français, polonais et espagnols qui appartenait au groupe Vendôme. Source, cliquer ici
  3. Charles Portal « Le Département du Tarn au XIX° siècle», 1912, page 420, portant mention de la « belle verrerie » établie au début du 19ème siècle, dirigée par le sieur Robert, « en pleine activité » en 1836 où elle donne des produits ayant une valeur de 40 000 francs, et qui est encore mentionnée dans l’enquête statistique de 1847 à 1852 où elle occupait alors 25 ouvriers mais ne produisant plus qu’une valeur de 11 à 12 000 francs
  4. On compta, selon Raymond Granier,  jusqu’à 19 fours à chaux sur le seul territoire de la commune de Puycelsi où Adrien Béziat dans sa Monographie de Puycelsi, écrite en 1974, en cite les lieux-dits pour une dizaine, et mentionne les demandes d’autorisation que les « chaufourniers » devaient faire auprès des administrations municipale et préfectorale pour établir leurs « cauforns ». Certains « chaufourniers » reprirent même leur activité provisoire à Puycelsi pendant la dernière guerre 1939-1945 (M. Sudre à Sainte-Catherine par exemple). Cf également les témoignages recueillis par Daniel Loddo, « Entre Cordas e Gresinha », Edition C.O.R.D.A.E.-La Talvera, 3° trimestre 1997, pp 108-109
  5. Dans le dossier 5 P 20 aux Archives départementales du Tarn, les documents relatifs aux ventes de coupes de bois en Grésigne où sont décomptés pour chaque lot le nombre de fagots ou de bourrées attendus (les fagots sont définis par une longueur de 1,60 m, tandis que les bourrées doivent avoir 0,80 m de long, avec la même circonférence d’un mètre pour fagots et bourrées). Ajoutons que ces productions permettaient d’entretenir les bois et sous-bois en les rendant de plus aptes au pacage des animaux, soit en forêt, soit dans les bois privés autour du massif grésignol
  6. Dossier 5 P 20 (Archives départementales du Tarn) : lettre du Préfet du Tarn en date du 26 juin 1926 autorisant le Comité des Fêtes de Grésigne à organiser le 18 juillet 1926 la Fête de Grésigne « qui s’organise déjà depuis de nombreuses années à la Grande Baraque » est-il précisé
  7. Telle était l’expression utilisée par Madame Crouzet de Larroque qui était chargée dans les années d’après-guerre, de 1945 à 1950, par la Poste de Castelnau-de-Montmiral, de la distribution des télégrammes aux ouvriers forestiers en Grésigne, distribution effectuée par notre témoin à vélo…
  8. Pour ces questions de construction et de classification de voirie, se référer à Charles Portal (Pages 430 et suivantes de son livre « Le Tarn au Dix-Neuvième Siècle» op. cité ainsi que son article dans « l’Annuaire du Tarn » de l’année 1886 », pp 289 à 328). Consulter également les délibérations municipales : celles des Communes de Puycelsi et de Larroque montrent qu’il aura fallu, entre 1828 à 1854, 26 années de conflits entre les Communes concernées et les Départements du Tarn et du Tarn-et-Garonne pour aboutir au tracé définitif de ces routes n° 14 et n° 29
  9. Voir l’étude de Thierry Couet «Transports et voies de communication dans le Tarn », publiée en 1994 par les Archives Départementales du Tarn
  10. Dossier 5 P 20, Archives départementales du Tarn
  11. Les cas cités ont été relevés dans le dossier 5 P 20 aux Archives départementales du Tarn
  12. Voir le travail de recherche universitaire de Gérard Soutadé consacré en partie à l’étude de l’évolution de l’occupation du sol et de l’économie agricole des Pays grésignols, et dont un article a été publié par la Revue Géographique du Sud-0uest en 1957  « La Grésigne et ses abords »
  13. Dossier 5 P 5 contenant « les Carnets ou Livrets Journaliers des Garde forestiers du Sauze », aux Archives départementales du Tarn
  14. Revue du Tarn, 1939, tome VI, pages153 à 155
  15. Pierre Rascol : « Les Paysans de l’Albigeois à la Fin de l’Ancien Régime », Imprimerie Moderne, Aurillac, 1961, page184
  16. Dossier G 328, Archives départementales du Tarn
  17. Note de Charles Portal dans l’Annuaire du Tarn, année 1898, page 336.
  18. Revue du Tarn n°185
  19. Dossier 5 P 5 concernant les adjudications de la chasse en Grésigne de 1881 à 1938, Archives départementales du Tarn
  20. Daniel Loddo « Entre Cordas é Gresinha (entre Cordes et Grésigne) », Editions C.O.R.D.A.E./ La Talvera, troisième trimestre 1997, ainsi que son livre « Totes a lespero (Tous à l’affût) », Ed. CORDAE/ La Talvera, 2016
  21. Dossier 5 P 20, Archives départementales du Tarn
  22. Dossier 5 P 19, Archives départementales du Tarn
  23. Dossier 5 P 20, Archives départementales du Tarn
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2 commentaires sur « chapitre 11 : DE 1850 A NOS JOURS, APOGEE ET DECLIN DE LA VIE FORESTIERE TRADITIONNELLE EN GRESIGNE »

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