Evoluant en fonction des besoins de la société environnante, les coupes de bois en Grésigne ont permis au cours des époques :
- la production de bois à usage agricole ou artisanal tels que bois de tournage (fuseaux, robinetterie…), objets de boissellerie divers, bois de fente pour les merrains de tonnellerie,construction (poutres de bois pour les murs de nos maisons à colombages et leur charpente, clôtures…),
- la production de bois de chauffage et de charbon de bois,
- la production de bois d’industrie comprenant les bois destinés à faire des poteaux de mine ou des traverses de chemin de fer,
- la production de bois d’œuvre en proportion moindre, obtenu avec les arbres les plus beaux destinés au sciage pour obtenir des planches en vue de la fabrication de meubles et de parquets, plots et madriers divers.
Des plus anciennes aux plus récentes, ces diverses destinations des bois issus des coupes de Grésigne ont varié, selon les époques de l’histoire, pour répondre aux exigences de l’économie locale et régionale qui ont déterminé, à leur tour, l’évolution d’aménagements forestiers successifs, régis par divers modes de traitement et de conduite de la production arbustive en Grésigne.
Les essences arbustives actuelles en forêt de Grésigne et les divers peuplements
L’espèce forestière dominante en Grésigne (1) est le chêne, notamment le chêne sessile (appelé aussi plus communément chêne rouvre) qui est ici à la limite sud des conditions climatiques utiles à son développement. Le chêne rouvre est accompagné par de rares chênes pédonculés (dits chênes blancs) dans les bas-fonds humides aux sols profonds et par le chêne pubescent sur les crêts plus secs et aux sols plus maigres parsemés de chênes verts. Les deux espèces principales de chêne sessile et de chêne pubescent ont donné lieu ici et là à des croisements par leur pollinisation réciproque.
Le hêtre, essence subatlantique et montagnarde, remplace le chêne ou bien y est mélangé sur les sommets et sur les versants orientés au nord et à l’ouest, tandis que dans divers autres endroits de la forêt, le châtaignier est présent plus rarement sur des sols plus acides.
Quant au charme qui pousse en sous-étage de la chênaie avec l’alisier torminal et le cornouiller, c’est une espèce présente dans presque toute la chênaie grésignole. Les forestiers disent, au demeurant, que le charme, espèce dominée se contentant de vivre à l’ombre du sous-bois, contribue à l’élagage naturel du chêne, espèce de lumière, tandis que frênes et merisiers, espèces également héliophiles, poussent en bordure des chemins forestiers à la recherche d’une luminosité âprement disputée.
A toutes ces diverses essences de feuillus qui constituent l’étage arborescent, dit aussi étage arboré de la végétation forestière, correspondent des strates sous-arbustives composées en Grésigne d’arbrisseaux tels que buis, néfliers, pruneliers, aubépines, troènes, houx, genévriers, sarothamnes (genêts), espèces adaptées aux divers types de sol et d’exposition mais sans intérêt économique pour la plupart. La strate inférieure où dominent bruyères et ronces alternant avec des populations plus ou moins denses de fougères, font place, çà et là, à des strates herbacées luxuriantes, composées de parterres de pervenches et plus rarement de muguets, de tapis de lierres et de mousses diverses d’où émergent, selon les endroits et les saisons, anémones, aspérules odorantes, menthes, carex, sceau de salomon, géraniums sauvages et graminées diverses (fétuque ovine notamment). Très riche diversité de plantes où se cachent, lorsque les conditions climatiques en permettent la pousse capricieuse, girolles, cèpes, oronges, trompettes de la mort, pieds de mouton qui font le plaisir de nombreux chercheurs et promeneurs ainsi que nombreux autres champignons eux non comestibles.
Introduits au cours des années 1880, les premières plantations de résineux en Grésigne ont été réalisées avec les pins sylvestres. Des reboisements plus importants à base de résineux ont été repris à partir des années 1945-1950 et ont été complétés par des plantations de chênes américains avec l’aide des familles de harkis installés à Vaour et à La Janade (commune de Puycelsi) au début des années 1960. Les résineux à base d’épicéas, de sapins douglas, de sapins pectinés, de sapins Nordmann et de cèdres couvrent actuellement 361 hectares, soit environ le dixième de la superficie de la forêt où ils ont remplacé, de façon regrettable, labelle chênaie qui s’y trouvait dans sa partie ouest bien exposée aux pluies. Effectuée dans les secteurs où, à la suite des coupes définitives, la glandée naturelle n’avait pu réussir pour reproduire la chênaie originelle, des plantations de chênes américain (souvent non réussies) se sont poursuivies jusqu’en 1978.
Malgré l’erreur de cet enrésinement partiel, la Grésigne a été et reste une forêt de feuillus où domine le peuplement à base de chênes et de charmes, non seulement parce que ces deux espèces peuvent s’y développer de façon associée et complémentaire, mais surtout parce que ces deux espèces sont celles dont le renouvellement y est le mieux assuré, aussi bien par voie de semis (formation de la futaie) que par recépage (formation du taillis).
Taillis et futaie en forêt de Grésigne
Cette distinction entre futaie et taillis est ancienne. Le traitement de la forêt en futaie repose sur la production de chênes issus de glands, tandis que le taillis est composé d’arbres issus des rejets se développant sur les souches des arbres abattus. Dans le cas de la futaie, la difficulté tient, pour l’espèce ou les espèces recherchées, à obtenir les conditions de lumière les meilleures pour l’obtention naturelle de graines et pour leur bonne germination, ensuite pour la levée et la protection des jeunes plants dont la croissance reste fragile. Dans le cas du taillis ne convenant qu’aux feuillus uniquement, la coupe des arbres faite en hiver, avant la remontée de la sève, devra laisser des souches correctement talutées pour éviter leur pourrissement par les eaux de pluie. Ainsi les rejets de bonne qualité dont on pourra conserver ceux qui apparaissent les plus vigoureux, nommés baliveaux, seront destinés à être conservés pour constituer une haute futaie qui exige par ailleurs des sols de bonne qualité. Ce dont Froidour, dans ses « Instructions pour les ventes de bois du Roi », faisait une condition essentielle, en précisant aux officiers des Eaux-et-Forêts « qu’ils doivent s’appliquer à bien connaître, premièrement la qualité et la nature du fonds, s’il est trop humide, s’il est trop sec, s’il est maigre, s’il est gras et suffisamment bon à la nourriture des bois de haute futaie », recommandation qui s’appliquait à la Grésigne où le célèbre forestier remarquait que « le terrain y est une espèce de sable luisant de couleur de rouille ou de briques et de tuiles recuites, et battues en forme de ciment, qu’il y a quelques endroits assez bons qui se rencontrent sur les hauteurs et dans les fonds où il y a quelques plaines ».
Sans vouloir entrer dans la complexité de la gestion et des techniques de l’exploitation forestière en forêt de Grésigne, on distingue, selon leur appartenance à l’une ou à l’autre des 166 parcelles qui y étaient traditionnellement regroupées en 4 séries ou triages, le traitement en taillis et le traitement en futaie. Ce dernier mode a été définitivement adopté depuis 1875 pour l’ensemble de la forêt, et les années qui se seront écoulées depuis cette importante décision font que dans les années 2000, les chênes les plus anciens de Grésigne peuvent être encore issus du recépage de vieilles souches antérieures à cette date de 1875 à laquelle fut définitivement supprimé le taillis.

Le plan d’aménagement forestier en Grésigne établi par arrêté du 12 décembre 1995, plan modifiant le plan d’aménagement arrêté le 15 octobre 1986 pour la période allant jusqu’en 2005, qui ne distingue plus que trois séries ou triages, confirme bien un traitement de la forêt de Grésigne en « futaie régulière », qu’il s’agisse de feuillus ou de résineux.
Maximiser les avantages et limiter les inconvénients de ces deux méthodes pour assurer la reproduction des arbres en forêt constituent la base de la sylviculture, science appliquée soumise à des aléas atmosphériques non maîtrisables. Dès le 17ème siècle, Froidour fait appliquer en Grésigne des connaissances empiriques qui garantissent une bonne gestion forestière. A l’époque où la Grésigne sera ensuite inféodée par Louis XV au Comte de Maillebois, l’article consacré à la Forêt dans l’Encyclopédie publiée par Diderot de 1751 à 1772 sous le titre de « Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers », ainsi que les publications précédentes de Buffon (vers 1720), de Réaumur (vers 1740) et de Duhamel du Monceau (dans les années 1760), constituaient déjà les textes fondateurs d’une sylviculture naissante plus rationnelle, dont les textes ont contribué à la vulgarisation d’une meilleure connaissance de la biologie et de la physiologie des arbres ainsi que de leur cycle de croissance selon les diverses espèces. Mais l’esprit des hommes de ce Siècle des Lumières n’arrivera au niveau de leur application en Grésigne que très tardivement après la Révolution, après que le plan d’aménagement de 1823 ait défini une première esquisse de parcellement prenant en compte la nature des sols avec l’âge et la nature des peuplements. Ce plan avait pour objectif d’organiser un inventaire précis des diverses espèces afin d’obtenir une production constante pour régulariser l’offre de bois une année sur l’autre. Dans cette forêt que l’on rêvait idéale, découpée en damiers, normalisée par les savants calculs des forestiers, il faudra encore attendre la seconde moitié du 19ème siècle en forêt de Grésigne pour en chasser ses riverains et y interdire leurs usages coutumiers jugés nuisibles et intempestifs.
La date de 1875 qui consacre la décision prise pour instaurer le régime de la futaie en Grésigne marque le terme d’une lente évolution où le taillis a peu à peu perdu de son importance économique et sociale. La forêt n’était donc déjà plus un espace naturel, mais relevait au contraire depuis plusieurs siècles d’un espace progressivement dirigé par l’homme, avec des techniques d’intervention raisonnées, reposant sur l’observation et une connaissance scientifique de plus en plus approfondie d’un milieu arboricole fort complexe et dûment protégé.
Le choix entre l’un ou l’autre des deux modes de conduite que sont le taillis ou bien la futaie, inhérents aux impératifs du renouvellement de la forêt, par recépage dans un cas et par semis dans l’autre, détermine la fréquence et le rythme des coupes à partir de la durée de vie souhaitée. Par conséquent, il faut prendre en compte la dimension des arbres qui y seront martelés et vendus. Les bois de taillis convenant au chauffage et à la production de charbon ou de « charbonnette », les bois provenant de futaie étant qualifiés de bois d’industrie et, pour une plus faible partie, de bois d’œuvre (10% environ en Grésigne).
Les coupes de bois sont déterminées en fonction de l’âge des arbres ou des peuplements destinés à être abattus, depuis les gaulis (âgés de 20 ans) jusqu’aux stades du bas-perchis (20 à 50 ans) puis du haut-perchis (50 à 75 ans ), avant d’en arriver au stade de la haute futaie, expression prise ici dans le sens où il s’agit de « surfaces boisées par de grands arbres » pouvant atteindre ou dépasser 150 ans dans le cas du chêne en Grésigne, avant de dépérir et « d’être sur le retour » selon l’expression consacrée des forestiers.
Il résulte de ces considérations que les diverses catégories de coupes de bois achetées sur pied en Grésigne ont permis tout au long de son histoire l’obtention de produits aptes à des usages différents pouvant être complémentaires ou bien concurrents et donc, encore aujourd’hui,à la base d’alliances sinon de rivalités entre acheteurs et utilisateurs potentiels des bois, lors des séances d’adjudication.
Compromis de l’aménagement forestier en forêt de Grésigne
La pression des intérêts économiques liés aux enjeux de l’aménagement forestier, à court ou long terme, restent donc soumis à des contraintes diverses étroitement imbriquées, aussi bien pédologiques et techniques que commerciales et financières. Ces divers facteurs font des plans contemporains d’aménagement forestier une synthèse qui permet d’élaborer un document de base où sont codifiés pour des durées déterminées (20 années en général), par voie d’arrêté ministériel dans le cas de la forêt domaniale de la Grésigne, les objectifs pour la mise en œuvre d’une politique forestière à plus ou moins long terme. Ces objectifs, définis par les directives découlant de ces plans successifs d’aménagement forestier, sont bien évidemment le résultat de compromis divers au sujet desquels les rapports de force entre les divers groupes de pression sont déterminants.
Au cours de l’histoire de la Grésigne, après les sanctions prises lors des Réformations de Jean Bardon en 1542 et de Louis de Froidour en 1666 dont le but était de limiter sinon d’interdire passagèrement les privilèges de la population limitrophe, certaines visées opportunistes et circonstancielles ont engendré, au sujet de son aménagement, des conflits d’intérêts comme ceux qui se sont manifestés, par exemple, lors du projet d’implantation du canal de la Vère en 1752 et lors de l’inféodation de la forêt au Comte de Maillebois qui en demandait des coupes excessives . Il en a été de même lors du projet du Marquis de Solages qui exigeait la généralisation des taillis en Grésigne pour alimenter les hauts-fourneaux et les forges. Les exploitants forestiers locaux de merrain aussi bien que les charbonniers de métier et plus encore, les habitants des Communautés riveraines qui étaient usagers en titre du droit d’affouage consistant à prendre du bois-mort en Grésigne, se sont alors mobilisés pour défendre leurs propres intérêts. Cette alliance permit de s’opposer aux désirs du Comte de Maillebois qui exigeait pour la rentabilité de son canal de la Vère « la coupe de 200 arpents par an de haute futaie (150 hectares environ) pendant 20 années consécutives ». Se manifesta également une vive opposition des notables locaux aux prétentions du Marquis de Solages lequel demandait « la réservation de 5 400 arpents de forêt sur les 7 000 » que comptait alors la Grésigne « afin de pouvoir y effectuer des coupes rases annuelles de 180 arpents de taillis sur une période de 30 années »,pour assurer la bonne marche de ses hauts fourneaux qu’il se proposait de construire sur les bords de la Vère à Puicelcy. Ce projet fut abandonné au profit de leur installation sur le Saut du Tarn près d’Albi.
Que penser enfin de ce Garde général de Grésigne qui, en 1818, préconisait la possibilité en Grésigne « de permettre la dépaissance de 2 000 têtes à cornes moyennant 6 francs par tête », si ce n’est que cette proposition était émise sous la pression des riverains, propriétaires de ce cheptel bovin ? Un cheptel qui se serait situé, en comparaison, bien au-dessus de la densité des cerfs et des chevreuils atteignant 500 à 600 têtes pour chacune de ces deux espèces de cervidés en 1999, portant alors à plus d’un millier de têtes les réserves cynégétiques de la Grésigne et de ses alentours immédiats.
Si les propositions de Maillebois ou du Marquis de Solages avaient été adoptées il y a deux cents ans environ, le taillis, sans souci de balivage, aurait recouvert rapidement de ses fourrés, de ses gaulis ou de ses perchis (2), la surface totale de Grésigne. Il en serait résulté peu à peu la quasi-disparition de sa haute futaie réduite à une peau de chagrin. Ce qui aurait alors annulé en partie les glandées du siècle dernier et la naissance de la plupart des beaux arbres qui font aujourd’hui de cette forêt l’une des plus belles chênaies du sud de la France !
Le régime du taillis a été en Grésigne très important durant les époques où le bois de chauffe était l’unique combustible pour les besoins domestiques et tant que le charbon de bois était utilisé pour le fonctionnement des fours à verre de Haute-Serre jusqu’au début des années 1850 et celui des deux hauts-fourneaux des forges de Bruniquel jusqu’en 1874. Hors ces deux importantes entreprises locales qui étaient, de façon régulière et suivie, déclarées adjudicataires des coupes de taillis de Grésigne à leur époque, les petits exploitants forestiers locaux et de nombreuses familles de riverains participaient également depuis toujours à la coupe des taillis qui étaient localisés en majeure partie sur les bordures extérieures de la forêt, plus accessibles que les bois de haute futaie qui se situaient au cœur de Grésigne.
Trois dates importantes, liées à des documents d’archives, peuvent être citées pour jalonner l’évolution réciproque des régimes du taillis et de la futaie en Grésigne :
- Froidour notait en 1666, après sa visitation que la surface réservée au taillis représentait près de « 40 % des 7 150 arpents de Grésigne, soit2 725 arpents contre 4 425 arpents de belle futaie »,
- Un siècle et demi plus tard, lorsque l’exploitation du charbon a déjà commencé à Carmaux, le premier plan d’aménagement de la forêt de la Grésigne établi en 1823 fixe « la surface du taillis (NDLR : dont la révolution était arrêtée à 16 ans seulement) à 954 hectares sur le total des 3 254 hectares » que compte la Grésigne, soit alors un peu moins de 30 % de sa superficie totale,
- En 1875, la décision est prise par l’administration forestière de « réaliser sur l’ensemble de la forêt de Grésigne, la conversion en futaie de tous les taillis de Grésigne », qu’il s’agisse de remplacer des taillis exploités en coupes rases (à blanc estoc) ou bien de taillis à exploiter sous futaie.
Les forestiers modernes ont donc admis définitivement depuis la fin du 19ème siècle que le traitement du taillis était à supprimer définitivement en Grésigne. Par conséquent, le renouvellement de la forêt par recépage de vieilles souches, plus ou moins épuisées, devait être proscrit au fur et à mesure que les « coupes rases » allaient s’effectuer selon un cycle de 150 ans. Elles laissaient alors leur place aux glands pour assurer une reproduction naturelle de la forêt afin d’obtenir une « futaie régulière ».
Le dépérissement des chênes en Grésigne, phénomène récent qui est apparu depuis le dernier cycle de sècheresse au cours des étés des années 1986 à 1989, en faisant péricliter surtout les vieux arbres dont la cime se dessèche, concerne surtout ceux qui ont été recépés avant 1875 sur d’antiques souches peu nourricières où la sève circule de plus en plus mal. Le choix que firent alors, il y a près de 150 ans, les responsables des Eaux-et-Forêts du début de la Troisième République, montre a posteriori le bien-fondé de leur décision, prise lorsque la production de la houille concurrençait dorénavant le bois de chauffe et le charbon de bois … avant bien sûr que fuel-oil ou électricité ne remplacent à leur tour le minerai extrait par les Houillères d’Aquitaine à Carmaux ou à Decazeville jusqu’au début des années 1980.

Les divers types de coupes de bois en forêt de Grésigne
L’évolution du mode de conduite et de l’aménagement forestier aussi bien que celui de l’exploitation des produits de la forêt constituent l’un des aspects essentiels de l’histoire de la Grésigne. La gestion forestière, que nous venons d’aborder au chapitre précédent, faisait ainsi une large place en Grésigne, jusqu’à la fin du 19ème siècle, au régime du taillis exploitable en bois de chauffe ou de bois à charbonner lorsque les chênes atteignaient l’âge de 15 à 20 ans , en fonction de la croissance de rejets de cépée plus ou moins rapides, selon les conditions pédoclimatiques, l’altitude et l’exposition.
Hors des coupes rases, les taillis de chênes pouvaient aussi être soumis à des coupes d’éclaircie ayant une fréquence de courte durée de 20 ans selon les sols et le microclimat des diverses stations de la forêt. C’est au cours de la première coupe d’éclaircie que Froidour préconisait de conserver dans les zones de taillis « 24 baliveaux par arpent » puis« 16 baliveaux lors des coupes suivantes , sans qu’on puisse couper ceux des coupes précédentes que tant qu’ils auront atteint l’âge de quatre-vingt-dix à cent ans auquel cas l’on fera couper en chaque arpent , de coupe en coupe , dix des plus anciens baliveaux qui seront choisis et marqués du marteau du Roi ». Ce plan de balivage qui pouvait être réduit « à 20 baliveaux par arpent au cours des coupes faites jusqu’à 60 ans, pour donner des coupes de 7 ou 8par arpent jusqu’à 14 à 15 après cent ans . Ainsi procéda-t-on après le passage de Froidour en Grésigne pour passer du taillis-sous -futaie à la futaie irrégulière feuillue.
La sylviculture des temps modernes mise en application au cours du 19ème siècle a repris les prescriptions de Froidour en les rationalisant davantage grâce à une meilleure connaissance des caractéristiques propres à chaque parcelle, ce qui a modifié en profondeur les modes d’exploitation en Grésigne. Le vocabulaire utilisé par les spécialistes pour définir les divers types de coupes traduit les subtilités et les arcanes de la gestion forestière actuelle.
Au cours de leur long cycle de croissance fixé actuellement à 150 ans, la sélection opérée sur les chênes provenant exclusivement du semis naturel de glands est effectuée, depuis 1875, par la mise en œuvre de coupes d’éclaircie ayant pour but de dégager les jeunes tiges provenant exclusivement de semis naturels et ne conserver, au cours de ces coupes successives, que les baliveaux (3) les plus beaux.
Ces coupes d’éclaircie, au nombre de trois en général jusqu’à l’âge de 60 ans, dont la première est qualifiée souvent de « coupe d’éclaircie-nettoiement » dans les documents des ventes de bois en Grésigne que nous analyserons plus loin, sont suivies ensuite par des coupes d’amélioration, pouvant aller jusqu’au nombre de cinq à six au cours du cycle du chêne fixé déjà à 150 ans en Grésigne par Froidour en 1666, mais étaient quasiment inexistantes lorsque, en 1823, le premier plan d’aménagement de la Grésigne établissait la révolution du chêne à 80 ans seulement.
Ces coupes d’amélioration que l’on pratique aujourd’hui de façon plus fréquente encore tous les 10 ans, donnent lieu à l’élimination de nombreux arbres de dimensions et de hauteurs diverses parmi les essences dominantes aptes à faire du bois d’industrie (tels que chênes divers, hêtre, châtaignier, frêne…). Ces mêmes coupes permettent également la suppression d’espèces arboricoles dominées (telles que charme, alisier, érables divers…), aptes à donner des bois destinés au chauffage ou bien à faire, jusqu’à un passé relativement récent, de la « charbonnette », sinon encore avec leur menu branchage, à faire des « bourrées et fagots » utilisés jusqu’à la fin de la guerre 1914-1918 pour chauffer les fours à chaux, les fours à pain, les bâtiments d’habitation et la maison d’école pour laquelle, à tour de rôle, chaque enfant apportait son fagot.
Ces deux premiers types de coupes, dites coupes d’éclaircie et coupes d’amélioration, visent ainsi à obtenir une futaie régulière, obtenue de façon homogène à partir des meilleurs baliveaux issus d’un même semis naturel et sélectionnés au cours de ces coupes successives. Les adjudications de Grésigne font également mention des coupes ordinaires de futaie dites « coupes de régénération » qualifiées aussi de « coupes préparatoires » ou de « coupes d’ensemencement », celles-ci laissant subsister une centaine de houppiers par hectare pouvant encore faire l’objet d’une à deux « coupes secondaires ». L’objectif de ces derniers types de coupes, pratiquées avant « la coupe définitive », dans les futaies les plus âgées vers 150-160 ans où les chênes sont sur le point d’aboutir à la fin de leur cycle de vie (les 180 à 200 ans sont rarement atteints), est de faciliter la fructification de quelques 40 à 50 arbres par hectare jusque-là préservés. Ces reproducteurs seront sélectionnés par l’œil averti du marteleur parmi les arbres ayant les troncs les plus élevés et les houppiers les plus développés. Les autres arbres ayant été coupés progressivement, toute la lumière sera réservée dès lors aux seuls rescapés reproducteurs, conservés pour leurs qualités et rendement. Ces reproducteurs permettront d’obtenir la production de graines en suffisance tombées au sol (400 à 500 glands au mètre carré), garantes d’une belle levée de petits arbrisseaux régénérateurs de la vieille futaie dans l’environnement d’un sous-bois suffisamment ombré pour la levée, puis de plus en plus éclairé au fur et à mesure des deux dernières coupes d’ensemencement.
Préparation des coupes et vente de bois par adjudication
Chaque adjudication annuelle des coupes de bois est préparée avec soin, grâce à l’expérience et à la compétence des agents forestiers qui sont chargés d’effectuer un long et minutieux martelage et cubage préalables des arbres à abattre.
Une fois défini l’emplacement de « l’assiette » de la coupe par le moyen d’arbres-repères dits « pieds corniers » pour les arbres situés en coin, tandis que les arbres intermédiaires portent le nom de « pieds parois » pour indiquer les limites de la surface de chaque article, le garde-forestier classe, en fonction de la dimension de leur circonférence ou de leur diamètre, les tiges dénommées « arbres, perches ou brins » (4), qui seront abattus. D’où l’importance du martelage, opération visant à permettre le repérage et la reconnaissance des arbres qu’il sera permis d’exploiter par les futurs acquéreurs de la coupe :
- soit qu’il s’agisse de « martelage en délivrance » (cas le plus général) où seuls seront exploités les arbres ayant reçu une double empreinte du marteau de l’Etat (marqué d’un sceau rond ou hexagonal englobant jadis une fleur de lys, et aujourd’hui les lettres majuscules «A F») ; le martelage se pratiquant sur un blanchi une fois enlevé l’écorce, à hauteur d’homme et au ras du sol, cette dernière empreinte devant rester sur la souche de l’arbre abattu à toutes fins de vérification postérieure,
- soit qu’il s’agisse d’un « martelage en réserve », inverse du précédent, puisque ne seront autorisés à être abattus que les arbres non martelés.
Les arbres destinés à être abattus sont d’autre part dénombrés avec précision pour chacune des essences présentes dans le lot mis en vente, en précisant le nombre de billes et de grumes qu’ils peuvent produire selon leurs diverses grosseurs en bois d’œuvre ou d’industrie, éventuellement en perches et poteaux de mine.
Classés selon leur destination, soit en bois d’œuvre, soit en bois d’industrie ou de service, les arbres destinés à la vente sont inventoriés selon leur diamètre mesuré de 5 en 5 cm pris à 1,30 mètre au-dessus du sol, ce qui permet d’estimer, en fonction de la hauteur estimée de leur tronc, leur volume de bois en mètres cubes (jusqu’en 1920, les arbres et les grumes qui en provenaient étaient classés selon leur circonférence mesurée de 10 en 10 cm).
Pour le bois de chauffe (dit aussi « bois de corde ») provenant des branchages et des houppiers, « les bûches » étaient façonnées et définies par une longueur de un mètre « avec au moins 20 cm de tour au petit bout », puis devaient être empilées par stères, tandis que « les fagots à délivrer aux gardes préposés, aux mairies et aux maisons d’école » devaient avoir « 1,33 m de longueur sur 83 cm de tour, à 2 liens, avec un quart au moins de leur volume en brins de 12 à 20 cm de tour » selon le règlement du 8 août 1903. Un autre règlement, édicté par la suite, fixa la circonférence des « bourrées » à 1 m en leur milieu sur 1,20 m de long.
Les documents des ventes de coupes faites en Grésigne depuis la Révolution, documents imprimés sous forme de petits livrets remis aux Archives départementales qui en détiennent une collection incomplète, font foi d’un souci de précision et de clarté de la part de l’administration forestière pour présenter aux acheteurs potentiels une offre précise et chiffrée en « produits estimés », bien définis et inventoriés, mis en marché dans chaque lot ou article.
Le lieu des adjudications de plus en plus éloigné de la forêt de Grésigne
Par voie d’affiche étaient annoncés la date, l’heure et le lieu de l’adjudication ainsi que la description de chaque article, identifié par sa situation géographique en Grésigne et sa surface, avec indication des chemins de vidange et, plus curieusement, certaines fois, avec le nombre de journées d’hommes et le volume des matériaux nécessaires à la remise en état de la voirie forestière empruntée pour la vidange de chaque coupe.
Jusqu’en 1814, se déroulait « au plus offrant », à la maison commune de Puicelcy, la vente de petites coupes de bois et celle des chablis (arbres tombés à terre à cause du vent) selon le traditionnel rituel des enchères, règlementées par la durée des trois feux de chandelles. Après 1814, année où le territoire de la forêt fut intégré à la commune chef-lieu de canton, ce fut Castelnau-de-Montmiral qui devint alors le nouveau siège où furent organisées les adjudications des chablis.
Mais c’était à Gaillac que les séances d’adjudication des ventes de coupes de bois de Grésigne avaient lieu. Cette décision ne fut guère appréciée par les élus municipaux montmiralais, ainsi que le fait apparaître encore cinquante ans plus tard une délibération du 30 août 1925, « demandant que l’adjudication des ventes de coupes de Grésigne se fasse à Montmiral et non à Gaillac ». Ce à quoi, le 21 septembre suivant, l’Inspecteur des Eaux-et-Forêts de Castres répondit que « les coupes supérieures à 500 francs devaient se faire au chef-lieu d’arrondissement à Gaillac sous la présidence de Monsieur le Préfet ».
Après 1930, les moyens de circulation permettant plus aisément aux entrepreneurs forestiers de se déplacer, ce sera à Albi puis à Castres que furent organisées les ventes de bois par adjudication de toutes les forêts domaniales relevant de la « Vingt-Cinquième Conservation de l’Administration des Eaux-et-Forêts regroupant les 3 départements de l’Aude, des Pyrénées-Orientales et du Tarn ».
Soumises ensuite au régime forestier de l’Office National des Forêts (O.N. F) créé en 1966, c’est à Castres uniquement que seront regroupées, à partir de 1970, toutes les adjudications ayant trait aux ventes annuelles de bois provenant de l’ensemble des forêts domaniales appartenant à l’Etat, ainsi que celles des forêts appartenant au Département et aux Communes tarnaises.

Le choix de villes de plus en plus éloignées où s’organisent les adjudications des coupes est significatif de l’évolution d’un marché du bois de Grésigne qui va en s’élargissant, passant peu à peu d’une demande purement locale à une demande régionale, facilitée pour les acheteurs extérieurs par le désenclavement routier.
Evolution de la gestion des coupes de bois en forêt de Grésigne
L’exploitation du bois en Grésigne relève d’une évolution complexe qui pourrait faire l’objet d’une classification sur la longue durée, selon cinq grandes périodes.
Jusqu’en 1283 (date où la Grésigne devient forêt royale), l’exploitation forestière est très limitée sinon inexistante, car l’on trouvait suffisamment de bois à défricher en dehors de la forêt pour créer des terres agricoles autour des hameaux. La densité démographique très faible autour de la Grésigne impliquait par ailleurs une main d’œuvre rare, mais aussi des besoins limités pour entraîner des déboisements importants en Grésigne.
En résumé, au cours de la période couvrant tout le Haut Moyen Age, les coupes de bois dans les limites du massif actuel de Grésigne furent ainsi quasi-inexistantes car le bois abondait dans toutes les zones périphériques à la forêt. Les terroirs cultivés furent conquis progressivement sur les plateaux de causses dominant les vallées de la Vère, du Cérou et de l’Aveyron grâce aux déboisements commencés depuis la création des premières villae romaines au début du premier millénaire (Brugnac, Alos, Granuéjouls, Lintin, Cestayrols, Vindrac, etc …). Cette déforestation reprit une forte ampleur avec la création, vers les 9ème et 10ème siècles, des premiers castra ou villages fortifiés de Bruniquel, Penne et Puycelsi, puis l’installation de divers ordres monastiques comme les Templiers de Vaour en 1140 en attendant le développement des bastides de Castenau-de-Montmiralet de Cordes par le Comte de Toulouse Raymond VII après 1220.
Lorsque la Grésigne devint française et royale après les achats effectués de 1283 à 1285 par le Sénéchal du Roi Eustache de Beaumarchais, l’administration de la Grésigne distingue les parties de la forêt relevant de chacune des trois juridictions de Montmiral, Penne et Puicelcy où se différencient les droits d’usage propres à chacune d’elles. Après 1331, lorsque Villars, Commissaire du Roi Philippe VI de Valois, reconnaît les anciens droits d’usage féodaux qu’il concède aux communautés de Penne, Puicelcy et Montmiral, ou bien qu’il maintient en faveur de quelques autres familles nobles, la Grésigne devient pendant trois longs siècles de troubles et de désordres une forêt-pâturage en même temps qu’une forêt-cueillette, dont les produits sont utilisés et auto-consommés sur sa périphérie immédiate dans des villages pillés par les troupes anglaises et gasconnes ou bien parles routiers durant la Guerre de Cent Ans…
Le bois de Grésigne facilitera, avec la paix revenue au cours de la seconde moitié du 15ème siècle, la reconstruction des villages et des hameaux dévastés et dépeuplés où la population s’accroissant progressivement exerce un prélèvement de plus en plus grand sur les ressources que lui offre la forêt. Une pression démographique que tentera de contrôler le Commissaire royal Jean Bardon délégué sur place en 1545 à Puicelcy par François Premier pour sanctionner les délits et réformer les droits et usages.
Le bois étant déjà devenu plus rare hors des limites de la forêt actuelle du fait de l’extension des défrichements accomplis entre le 10ème et le 13ème siècle, la Grésigne restera alors uniquement soumise, tout au long de l’Ancien Régime, à la dévastation anarchique des taillis par les verriers, par les ateliers de merrain et par les troupeaux d’animaux domestiques des paysans riverains, tandis que les arbres de haute futaie feront l’objet « de coupes par pied et non par arpent » par des usagers peu scrupuleux. Les habitants des communautés voisines, au gré de leur désir, procèdent à l’abattage des plus beaux arbres pour leurs besoins propres en bois de construction, façonnent tous du merrain qu’ils débitent avec force abus et gaspillages, saccagent les taillis pour le bois de chauffe, comme le déplorera Froidour au cours de sa première inspection en 1658.
Depuis le Moyen Age, et pendant plusieurs siècles sous l’Ancien Régime, les coupes de bois sont ainsi prélevées quasi-gratuitement en Grésigne par le versement de quelques livres de location représentant le paiement d’une albergue annuelle, inscrite sur le budget des communautés titulaires de privilèges collectifs. Cette exploitation qui résulte des droits d’usage se fait de façon diffuse et désordonnée dans les taillis, à la périphérie d’une forêt royale privée de toute voie de vidange. Les arbres restent donc inexploités dans les parties centrales de la forêt où subsiste une haute futaie dite « sur le retour» selon le constat de Froidour.
De 1666 à 1850 environ, dans un environnement rural en forte croissance démographique, surtout après les grands froids de 1709 qui marquent aussi l’arrêt des épidémies de peste, la Grésigne fera l’objet, grâce aux mesures de redressement édictées par Froidour, d’une gestion forestière en voie d’amélioration jusqu’en 1770, avec une remise en cause passagère des droits d’usage local manquant d’encadrement et de personnel qualifié, qui aboutira à une forêt inféodée au Comte de Maillebois.
A partir du 17ème siècle, le bois, devenu rare et précieux dans une campagne de plus en plus réservée à la culture et à l’élevage, voit ses cours s’envoler dans les villes voisines. Cependant, compte tenu de l’échec du projet du canal de la Vère et la lenteur de mise en place des routes, l’enclavement de Grésigne ne permettra pas à ses bois d’être utilisés comme bois de marine comme l’aurait voulu Colbert. Et jusqu’à la moitié du 19ème siècle, le transport de ses bois de haute futaie sera réservé à des besoins locaux, le régime du taillis restant privilégié puisque la demande des populations urbaines et celle des activités artisanales ou industrielles proches sont orientées surtout vers le bois de chauffe et le charbon de bois.
Ainsi, selon « le Mémoire des Eaux-et-Forêts de Villemur » publié en 1754, « les coupes de bois sur les 4 triages de Grésigne, ont été « de 48 arpents de 1676 à 1740 inclus » puis « de 80 arpents par an de 1741 à 1753 », précisant que la coupe annuelle de 80 arpents réalisée en 1746 « a été adjugée à Antoine Vallès, David Martres, Maffre Farjounel et Antoine Montet,… et a rapporté le prix le plus haut et s’est portée au total de 10 899 livres 3 sols 4 deniers pour I66 milliers de merrain et 1 800 cannes de bois ». Traduit en mesures modernes, les coupes de bois faites sur « 80 arpents » soit 40 hectares par an (coupes rases dites de « blanc étoc ») représentaient en 1746 l’équivalent de quelques 1 750 mètres cubes de bois de merrain (bois d’industrie) et 7 200 stères de bois de chauffe, sachant « qu’il fallait 3 cannes pour faire un millier de merrain et que chaque canne vaut 4 stères de bois environ ».
Nous n’avons pas pu trouver les quantités totales de bois exploitées en Grésigne de façon toute militaire par Maillebois, de 1770 à 1779, avec sa colonie de bûcherons vosgiens. Mais il n’est pas trop hasardeux de dire qu’elles furent importantes, en partie exportées par voie de flottaison à partir de Penne et Bruniquel sur l’Aveyron et à partir de Gaillac sur le Tarn. L’acte d’inféodation, accordé par« les lettres patentes du 26 août 1770 » émanant du Conseil du Roi Louis XV, indique en effet que les coupes ne pouvaient dépasser « 250 arpents par an » (sans préciser de quel mode de coupes il s’agit…). Mais cette surface qui correspond à 125 hectares environ permettait déjà d’extraire un volume de bois non négligeable, sans compter les autorisations qui furent ensuite consenties à Maillebois à titre d’indemnisation, de 1779 à 1782, pour entreprendre de très importants défrichements estimés à 2 500 arpents.
Maillebois ruiné et passée la période de désorganisation de l’économie locale affaiblie par les guerres de la Révolution et du Premier Empire (période où les cours du bois s’effondrent faute d’acheteurs),les coupes en Grésigne resteront soumises à une gestion axée essentiellement sur les besoins domestiques en chauffage d’une population urbaine régionale en voie de forte croissance, si l’on en juge, par exemple, par le fait qu’en 1797 à l’exception du traitement en futaie pour un sixième de la Grésigne, il fut décidé que le reste devait être traité en taillis.
Les résultats de l’adjudication de 1842 confirment cependant une gestion déjà plus affinée, avec la mise en adjudication de 8 coupes représentant « 89 hectares 77 ares comprenant 5 415 arbres au total sont vendues pour 87 241 francs »,mais avec une prépondérance de bois de chauffe, utilisé en grande partie pour les nouveaux besoins des forges de Bruniquel, puisqu’il est mentionné en supplément « 3 coupes de taillis et 2 coupes d’éclaircie », contre « 2 coupes secondaires et une coupe définitive de 687 arbres ». Cette qualification précise des coupes montre ici l’influence des premiers ingénieurs des Eaux-et-Forêts formés à l’Ecole de Nancy créée en 1824.
De 1850 à 1950, la gestion de la forêt de Grésigne va donner lieu à une sylviculture faisant place à des coupes facilitées et plus accessibles grâce à des efforts importants pour la création de chemins forestiers en vue d’une meilleure vidange des bois, dont une partie sera dirigée vers les gares voisines de chemins de fer de Bruniquel ou de Gaillac. Malgré la concurrence croissante de la houille, le début de cette période correspond encore à des besoins locaux importants liés à l’apogée démographique des petits pays grésignols vers 1850, ce qui contribue à faire de la forêt le chantier d’une main-d’œuvre relativement importante sur des travaux forestiers manuels et très peu mécanisés.
Mais la fermeture des forges de Bruniquel vers 1864, ainsi que la ruine des activités artisanales traditionnelles et la crise phylloxérique du vignoble gaillacois, vont accélérer un exode massif et provoquer une baisse de la demande en bois. La production de charbon de bois en Grésigne diminue de 1 800 sacs en 1830 à 200 sacs en 1880, et celle du merrain chute de 1 120 canes (4 500 stères environ) en 1810 à 590 cannes en 1895. Les cours du bois se détériorent donc pendant la crise économique de la fin du 19ème siècle.
Bien que la demande et le prix du bois retrouvent une embellie passagère pendant les années sombres des deux guerres mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945, les années de reprise économique qui leur succèderont seront de courte durée. Le scénario des cours du bois qui s’effondreront lors de la crise des années 1931-1935, se reproduira sous des formes différentes après les 30 années de forte croissance de la période 1950-1980.
L’exploitation des coupes de bois en Grésigne sera modifiée à la suite de la décision de traiter la Grésigne tout entière en régime de futaie à partir de 1875, année qui est l’une des dates-charnières de la gestion de Grésigne. C’est ainsi que les coupes d’éclaircie et d’amélioration, visant à supprimer tous les rejets issus de recépage sur des surfaces nettement plus importantes que celles notées au cours des périodes précédentes, se pratiqueront dorénavant sur 200 à 300 hectares par an. Quant aux coupes d’ensemencement et de régénération, elles concerneront chaque année une moyenne de 10 000 arbres pouvant représenter, selon la surface et la qualité des coupes, un cubage de quelque 3 000 à 7 000 mètres cubes de bois. Il s’agit donc d’arbres représentant un demi-mètre cube en moyenne (à titre comparatif, un très beau chêne de 180 ans en Grésigne, haut d’une trentaine de mètres avec un tronc de 60 centimètres de diamètre, soit 180 cm de circonférence, est donné pour un volume de 3 mètres cubes environ).
Pour en savoir davantage sur le détail des coupes de bois au cours de cette dernière période comprise entre 1850 à 1950 puis jusqu’à nos jours, il faut nous référer aux affiches et autres documents édités à l’occasion des adjudications de coupes de bois par l’inspection de Castres relevant de la 25ème Conservation des Eaux-et-Forêts qui englobait les trois départements, de l’Aude, des Pyrénées Orientales et du Tarn, dont les services ont été chargés de préparer et d’organiser ces ventes des coupes de bois de Grésigne soumises aux enchères pour le compte de l’Etat.
(1) De nombreuses cartes et études liées à l’obtention de diplômes universitaires ont été réalisées sur les conditions écologiques de la végétation en Grésigne : Gayrard (1951), Rey-Gayrard-Lavergne (1955-56), Dreuilhe (1966), etc… Cf également l’analyse des « Unités forestières en Grésigne » de G. Lazaro et M. Tabaczynsky, étude parue en trois parties dans la Revue Arocal n° 7, n°8 et n°9 en 1980
(2) Les coupes rases forestières ou « de blanc estoc » donnent lieu dans les années qui suivent, d’abord à un fourré de 2 à 3 mètres de haut quasi-impénétrable, qui devient un gaulis dont les arbres se sélectionnant par élagage naturel atteignent une circonférence d’une quinzaine de centimètres à 1,30 m du sol, auquel succèdera un perchis de 8 à 10 mètres de hauteur où la circulation des promeneurs devient alors possible et agréable après les coupes d’éclaircissage
(3) Selon les directives du Code Forestier sous Colbert, il était indiqué que l’on ne devait conserver à chaque coupe d’éclaircie que « 16 baliveaux par hectare », auxquelles succèdent ensuite des coupes d’amélioration supprimant les arbres de mauvaise qualité. Ces baliveaux, sélectionnés à 20 ans d’intervalle, portent le nom de « modernes » après deux révolutions de taillis, puis « d’anciens » après trois révolutions (âgés donc de 90 ans en moyenne)
(4) Rejet bien droit provenant d’une souche restée en terre lorsqu’un arbre a été coupé (définition CNRTL)