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chapitre 4 : LA REFORMATION DE LA FORET DE GRESIGNE EN 1542 SOUS FRANCOIS PREMIER

Légaux ou illégaux, les prélèvements de bois en forêt royale de Grésigne découlant des privilèges accordés aux habitants des communautés périphériques furent d’autant plus importants que leur population augmentait et que s’accroissaient les divers besoins en chauffage, en constructions diverses et autres nombreux usages. Le territoire forestier grésignol était d’une importance primordiale pour une économie rurale autarcique qui pouvait en retirer divers avantages.

Tel était le cas des villages grésignols qui avaient retrouvé une démographie galopante dès la fin du 15ème siècle et le début du 16ème siècle qui fut « l’âge de l’or bleu » grâce à la culture du pastel. Ainsi s’explique la date de la première Réformation des Eaux-et-Forêts en 1542, quelque 90 années après la Guerre de Cent ans qui, de 1340 à 1450,  avait ruiné notre région et suite aux épidémies de pestes et de famines à répétition accompagnant les violences et les rapts des routiers, les pillages des troupes anglaises ou gasconnes… avant que ne recommencent les Guerres de Religion. 

Entre ces deux longues périodes de guerres destructrices, la paix retrouvée et « l’or bleu » de la culture du pastel utilisé pour la teinture des laines ont participé, au cours de la première moitié du 15ème siècle, à l’essor de la Renaissance en Albigeois comme en Toulousain. Outre les beaux hôtels particuliers qui se construisent à Albi et à Toulouse, les bourgeois de Cordes, de  Bruniquel, de Penne et de Saint-Antonin voire de Puicelcy, développent le commerce et s’enrichissent. Ils reconstruisent ou réparent les églises et aménagent de belles maisons avec leurs fenêtres à meneaux et d’élégantes cheminées. Cependant, la large majorité de la population locale agricole et artisanale vit pauvrement et, comme Grésigne est proche, on y cherche du bois pour cuire son pain et se chauffer, on y ramasse des glands pour élever un porc, on y coupe des arbres pour agrandir la maison ou bien faire du merrain utile à la fabrication de comportes, cuves et barriques. Certes, les gardes forestiers verbalisent et réquisitionnent quand ils le peuvent mais les Consuls laissent faire leurs administrés. Ce qui leur évite les murmures, la colère et la révolte physique des plus pauvres lorsqu’on les prive de leurs besoins vitaux.

forêt-grésigne-bouyssières
Chemin en Grésigne

Non seulement les Consuls de Castelnau-de-Montmiral, de Penne et de Puicelcy, sont laxistes vis-à-vis des actes de délinquance de la population locale en forêt mais ils revendiquent le maintien de son droit d’usage accordé par des lettres de confirmation du Roi qui précisent, pour chacune de  leur juridiction, les privilèges consistant à prendre en Grésigne du bois «  à bâtir, à vaisselle (vinaire) et à brûler » sur la base des droits d’usage que leur avaient  déjà accordés en 1273 les seigneurs de Penne, propriétaires de la Grésigne, avant que sa vente soit faite au Roi Philippe-le-Bel par l’intermédiaire de son Sénéchal Eustache de Beaumarchais à partir de 1281. 

Face à la dégradation que subit la forêt, l’administration Royale des Eaux-et-Forêts va faire procéder en 1542 à la première « Réformation des forêts Royales du Languedoc » pour y mettre bon ordre par commissaire et procureur interposés. En ce qui concerne la forêt de Grésigne, les documents relatifs à cette opération, dirigée par Jean Bardon qui en dressera les procès-verbaux furent retrouvés 120 ans plus tard par Froidour « ressérés en un cabinet obscur et fort humide où ils se pourrissaient et étaient mangés des rats ». Froidour, après en avoir pris connaissance pour sa propre Réformation en 1666,  déposera ces procès-verbaux en lieu sûr à la Trésorerie et non à la Maîtrise des Eaux-et-Forêts où ils resteront inutilisés, avant que d’être rangés aux Archives de la Haute-Garonne dans les années 1880, où ils seront retrouvés récemment par Michel Bartoli (1).

En premier lieu, protection des limites de la forêt de Grésigne et contrôle des titres

Jean Bardon, avocat de profession, nommé  en 1541 « Commissaire Réformateur des forêts royales de la Sénéchaussée de Toulouse » s’installe à Puycelsi, dans cette petite ville fortifiée la plus proche de la Grésigne faisant alors figure de petite cité forestière, siège d’un tribunal local de l’administration des Eaux-et-Forêts pour juger les  abus des petits délinquants.

Le 15 juin 1542, les opérations commencent en forêt de Grésigne. Il est procédé au « constat des usurpations » grignotées sur les limites de la forêt. Ce qui donne lieu, les jours suivants, aux interrogatoires des Consuls de Penne, du Vicomte de Paulin qui détenait un bois usurpé puis des Consuls de Puycelsi et de Castelnau-de-Montmiral, le tout aboutissant à la condamnation de 47 délinquants dès le 17 juin.

La Grésigne depuis l’église de Sainte-Cécile-du-Cayrou, ravissante commune à l’habitat dispersé

Parallèlement sont convoqués, dès le 19 juin 1542, les Consuls du Verdier, de Vieux et le seigneur du Rouyre (Sainte-Cécile-du-Cayrou) cités à comparaître pour présenter leurs titres donnant à ces communautés droits d’usage en forêt de Grésigne. Il en va de même pour le verrier Jean Audouin et de nombreux autres particuliers, parmi lesquels figure un certain « Arnault Aymat qui avait usurpé la Grésigne pour y planter une vigne ». Ces interrogatoires, au vu des exposés des gardes, aboutiront à de lourdes amendes.

En second lieu, contrôle des paroisses et recensement de leur nombre de feux

Pour chaque communauté périphérique à la forêt de Grésigne, doit être arrêté par l’administration des Eaux-et-Forêts le nombre de paroisses et leur nombre de feux (familles) ayant droit dans chacune des communautés riveraines aux privilèges. Ainsi il sera dénombré au total sur la périphérie de la Grésigne « 1 598 feux » représentant une population de 8 000 habitants environ.

Les Consuls de Penne affirment que  « les 5 paroisses externes à la ville sont bien usagères » et il est demandé aux Consuls de Castelnau-de-Montmiral de confirmer que « les 10 paroisses externes à la ville font bien partie des lieux usagers ». Quant à la circonscription de Puycelsi,  le procès-verbal du Procureur royal Jean Bardon précise à son tour « Ordonnâmes que les Consuls, manants et habitants de Puicelcy bailleront par déclaration le nombre des habitants étant en chacune paroisse dudit lieu prétendant usages dans la Forêt de Grésigne sous le serment de Maffre Motte, Consul, et de Gérard Boucart, Syndic desdits manants », ce sur quoi les Consuls de Puicelcy fourniront le nombre de feux des dix paroisses ci-après :

Puycelcy, paroisses de Saint-Cornély et Sainte-Amélie143 usagers
Saint-James de la Capelle42 usagers
Saint-Pierre de Laval68 usagers
Sainte-Catherine de Moisans37 usagers
Saint-Narosy de Larroque62 usagers
Saint-Martin d’Urban51 usagers
Notre-Dame de Mespel28 usagers
Saint-Maurice de Camp50 usagers
Saint-Jean le Vieil10 usagers
Saint-Jean de Linas pour partie9 usagers
Total590 usagers

Tous les dessus dits prétendant et jouissant  des Droits en ladite forêt de Grésigne sous le privilège dudit Puicelcy, de laquelle déclaration ledit Procureur du  Roi des Eaux-et-Forêts nous requis acte que lui octroyâmes ».

Précisons que les « 590 usagers », habitant les dix paroisses composant les Communes actuelles de Puycelsi et Larroque représentaient 590 chefs de famille, lesquelles familles ou « feux » estimés en moyenne à 5 personnes par foyer, correspondent en 1542 à une population totale de l’ordre de 3 000 habitants pour la « communauté de paroisses de Puicelcy-en-Albigeois ». Une population qui ne retrouvera ce niveau qu’en 1850, après avoir subi de lourdes pertes lors des famines et des épidémies de peste survenues pendant les Guerres de Religion,  suivies par celles du petit  âge glaciaire aboutissant au terrible hiver de 1709 (2).

Jugements et sanctions diverses

Le 26 juin 1542, à la place du « Vicomte de Paulin, capitaine forestier, qui détiendrait un bois usurpé », « Salvy de Lapierre est commis Lieutenant du Maître des Eaux-et- Forêts » et il reçoit les instructions pour prendre en mains les affaires de la forêt de Grésigne. Ses divers prédécesseurs étaient « les capitaines du Château de Puicelcy » depuis 1470 avec le titre de « Bailli de la Baillie de Puicelcy ». L’un de ses successeurs, Antoine de la Pierre, sera « Gouverneur aux 50 chevaux de Penne et de Puicelcy » en 1576, tandis que son père Guillaume de Lapeyre « Gouverneur par le Roi en ledit Puicelcy sera tué le 19 décembre 1575 au moulin de Bourguet par un rebelle de la RPR (3) ». L’importance de la famille noble « de La Pierre ou de La Peyre  vivant à Puicelcy » dans le château du capitaine royal (dénomination actuelle) nous est confirmée par les recherches notariales du Colonel Albert de Bourdès (4) qui nous donnent aussi les noms de capitaines forestiers successifs habitant tous à Puicelcy. Ainsi en 1573, c’était Pierre de Laval dit « forestier en Grésigne » puis en 1580 Géraud de Bourdès (ce dernier beau-frère de Jean Guérin, notaire à Puicelcy de 1573 à 1583) puis en 1621 Jean de Motis et en 1632 Jean d’Oliviéri.

Parmi les autres sanctions, figure « le verrier Jean Audouyn qui est condamné à 100 livres pour du bois mal pris ».  Les habitants de la communauté de Puicelcy écopent d’une « amende collective de 150 livres pour abus de leurs usages «  et celle de « Vieux est condamné à 25 livres » et celle  du « Verdier à 50 livres ». « Le Seigneur du Rouyré est débouté de tous droits et doit payer une amende  de 25 livres »,  enfin « Guillaume Cathala, garde, est condamné à 50 livres ».

Les habitants de la communauté de Castelnau-de-Montmiral dont les Consuls étaient venus en juin 1542 à Puicelcy  présenter les titres relatifs aux droits d’usage de ses habitants de 1273 à 1508, se verront infliger par le procès qui eut lieu à Toulouse le 8 août 1542 « une amende de 200 livres pour avoir abusé de leurs privilèges ».

Droits d’usage accordés et maintenus

Après jugements rendus à Toulouse et « prononcés en la chambre du Bureau de la Trésorerie », les communautés de Castelnau-de-Montmiral, Penne et Puicelcy auront leurs droits d’usage en Grésigne adjugés « pour leur chauffe ou pour  bâtir et réparer leurs édifices et clore  leurs courtils (jardins) dans  les fins et mètes (limites) de leur  consulat et juridiction ». De plus, « leur permettons de pouvoir prendre et emporter en leurs maisons des herbes appelées alaydut (5) et fougères ». Mais il est bien précisé dans les jugements du Commissaire royal Jean Bardon que « pour obvier au grand nombre de manants à  tous abus  et en modérant leurs privilèges, inhibons et défendons de ne prendre en ladite forêt aucun bois vif pour faire araire, redorte, billes, chevilles, poteaux de vigne, ni autre instrument  de transport pour tirer le bois sec ou mort de ladite forêt, ni qu’ils ne fassent aucun merrain pour faire pipes, barriques ou autres ouvrages ». D’autre part « inhibons d’emporter les arbres abattus par malfaiture ou par le vent, les chablis tombés et versés seront vendus au profit du Roi ». Il est demandé enfin aux consuls « qu’ils fassent lire et publier ces dispositions en chacune des paroisses de leur consulat et juridiction à jour de fête, issue de grand-messe, afin que nul n’en puisse prétendre cause d’ignorance ».

Au passage, remarquons ci-avant l’expression « aucun bois vif » qui est utilisée ici pour mettre fin à l’abus de prendre en forêt le « mort-bois », expression litigieuse donnant lieu à confusion entre le vocabulaire des Eaux-et-Forêts et celui des usagers locaux qui, ainsi que nous l’avons  déjà précisé, outre « le bois-mort pendant ou gisant », englobaient, à tort, dans leurs privilèges le droit de couper des essences secondaires de « bois vifs » comme le buis, les cornouillers, les alisiers et autres, qu’ils se permettaient de prendre en forêt de façon abusive. Ces espèces arboricoles secondaires portent le nom de « mort-bois » en langage forestier authentique, expression remplacée ici par celle de « bois vif » plus explicite.

Des avions de tourisme survolent fréquemment la Grésigne…

En conclusion, quoique peu sévère, cette Réformation de 1542 traduit ce qu’était déjà la préoccupation majeure de l’administration royale des Eaux-et-Forêts : limiter et réduire les droits et usages des habitants des communautés limitrophes quant aux privilèges qui leur étaient accordés en Grésigne pour satisfaire les besoins de leur vie quotidienne (chauffage) et certaines de leurs activités agricoles et viticoles. Si divers comportements étaient jugés abusifs et condamnables, ces droits qualifiés de privilèges reposaient pour la population périphérique grésignole sur la force de coutumes remontant à la nuit des temps. Des comportements difficiles à supprimer car ils pérennisaient un usage courant des ressources d’une forêt considérée comme un lieu d’approvisionnement complémentaire indispensable à la vie de la population et à l’économie locale.

Au vu du dénombrement des habitants des trois juridictions de Castelnau-de-Montmiral, Penne et Puycelsi, on peut estimer pour chacune d’elles la présence journalière en Grésigne à quelque 500 personnes en moyenne. Un nombre que confirmera encore le Maire Juin au cours des années 1827-1830 lorsque débutera le long procès entre Puicelcy et l’administration des Eaux-et-Forêts.  Les quatre gardes qui étaient placés sous l’autorité d’un capitaine forestier ne pouvaient que difficilement contrôler cette pression humaine qui se maintiendra jusqu’à la suppression des droits et usages en Grésigne détenus par les habitants des sept communes limitrophes de la Grésigne à la suite du procès interminable qui prendra fin en 1852.

Pour les représentants de l’autorité royale, l’aspect répressif de la Réformation de 1542 était donc justifié par les abus du grand nombre de bénéficiaires jouissant du droit d’entrée en forêt pour y exercer, au-delà des privilèges reconnus et confirmés, des coupes de bois et des pacages non autorisés mettant à mal le maintien de l’équilibre forestier. Les représentants des Eaux-et-Forêts ne cesseront de responsabiliser les Consuls en les convoquant pour contrôler les familles vivant dans les paroisses de leur communauté ayant seules le droit aux privilèges, en les obligeant à assister ensuite aux interrogatoires des délinquants et en leur faisant payer des amendes collectives qui s’ajoutaient aux amendes individuelles infligées aux manants délinquants. Cependant, la Réformation des Eaux-et-Forêts de 1542 était relativement clémente, ne  réduisant que très peu les droits d’usage en Grésigne. Ce qui n’empêchera pas les Consuls montmiralais de faire appel au Roi François Premier qui fera supprimer en 1545 les jugements de Jean Bardon par le Tribunal  de Rouen. Ainsi, au cours des années qui suivront, les droits d’usage exercés par les Montmiralais reprendront pour dévaster une Grésigne laissée quasiment à l’abandon. Nous verrons donc qu’un siècle plus tard, ce sera Colbert qui désignera Froidour pour sauver la forêt de Grésigne en conduisant la grande Réformation des Eaux-et-Forêts sous Louis XIV.


  1. « Louis de Froidour 1626 -1685 » in «  Les Dossiers Forestiers n°23 », ONF, 2011
  2. Cf. « Puicelcy, lieu de Mémoire », chez l’auteur, 2ème édition, 1996
  3. Religion Prétendument Réformée, c’est-à-dire le protestantisme
  4. Albert de Bourdès « Documents épars », 1914
  5. L’asphodèle. Cf supra
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