Parmi les arbres de la Grésigne, les chênes, les hêtres, les châtaigniers sont producteurs de glands, de faînes, de châtaignes qui tombent au sol et constituent une nourriture appréciée par les animaux vivant dans la forêt. Parmi les autres espèces arboricoles fruitières, les sorbiers, les merisiers, les néfliers, les cornouillers sont fréquents et produisent des fruits et des drupes dont se régalent les oiseaux. Par contre poiriers (pyrus communis L.) et pommiers sauvages (malus sylvestris Mill.) sont rares. Les autres espèces fruitières, telles que pêchers, pruniers, abricotiers, figuiers, proviennent de l’Extrême-Orient, de la Perse et de l’Iran, après avoir subi de multiples croisements depuis que Grecs et Romains les cultivaient déjà, plusieurs siècles avant Jésus-Christ…
Il existe aussi en Grésigne des lambrusques qui font de cette forêt tarnaise le lieu privilégié où se sont conservés ces ancêtres lointains de la vigne qui a autorisé certains à formuler une hypothèse hardie restant à vérifier ; hypothèse selon laquelle les Celtes ou les populations autochtones qui les ont précédés auraient su améliorer et sélectionner ces précieuses reliques végétales pour obtenir un vin gaulois, bien avant de cultiver les variétés de vigne qu’ont pu leur apporter les Grecs après leur installation à Marseille au 6ème siècle avant JC, ou encore les Romains depuis leur établissement à Narbonne en l’an 118 avant notre ère.
Pourquoi ce Conservatoire ?
Sans nul doute, à l’instar des lambrusques pour la vigne, les hommes ont utilisé de nombreuses espèces sauvages de fruitiers forestiers à partir desquels ont été améliorés les espèces fruitières cultivées localement comme les pommiers, les poiriers, les pruniers, les cerisiers, enrichis par croisements avec de nouvelles variétés d’espèces fruitières en provenance des pays orientaux, bien avant puis après les Croisades qui nous ont apporté pêchers, abricotiers, figuiers, amandiers…
Au cours des derniers siècles, la place des arbres fruitiers était importante dans la plupart des familles paysannes de nos régions afin d’assurer une consommation autonome. Ils étaient plantés dans les vignes, en prés vergers, isolés ou en rangées en bordure des champs, le long des haies ou des chemins. L‘échange de greffons a donné lieu à la multiplication des variétés locales. Un important brassage s’est ainsi produit au cours des siècles par la voie du greffage, pour diffuser dans nos campagnes de nombreuses variétés de fruits.
En fonction de leur adaptation aux conditions pédo-climatiques, les variétés anciennes peuvent se classer en fonction d’une classification géographique. Ainsi certaines pommes sont spécifiques à la vallée du Viaur, d’autres variétés comme la pomme d’île et la pomme de Graine ont un bassin de diffusion plus étendu dans le nord du Tarn et les départements voisins.
Subsistant encore ici et là, en voie de disparition, les variétés dites anciennes ont fait l’objet de recherches afin de les sauvegarder dès les années 70. Située entre ces trois régions que sont l’Albigeois, le Bas-Quercy et le Bas-Rouergue, régions de petites exploitations agricoles où, traditionnellement, de nombreuses variétés d’arbres fruitiers bénéficiaient de soins attentifs, le choix de la propriété du Roc, en bordure de la forêt de Grésigne et au pied du pech de Puycelsi, que le Département du Tarn avait acquise en 1983, était particulièrement opportun pour établir un verger conservatoire.
Le projet de Conservatoire
Dès 1984, une prospection était organisée pour rechercher les variétés fruitières anciennes dans le département du Tarn et les départements voisins. Une pépinière était organisée sur la Ferme départementale du Roc afin de regrouper les variétés d’espèces fruitières à noyau (abricotiers, cerisiers, pêchers, pruniers) et à pépins (pommiers et poiriers) provenant en partie de propriétaires particuliers et en partie de petites collections d’arbres fruitiers constituées soit par des amateurs, soit par des pépiniéristes professionnels.
Sur une surface de quatre hectares défrichés préalablement avec l’aide du Génie Militaire de Castelsarrasin et préparés avec soin pour l’installation du Verger Conservatoire, la plantation des arbres débuta en 1985. Elle était sous la responsabilité de Monsieur Gardes dans le cadre des activités agricoles confiées sur les terres de la Ferme départementale du Roc à l’Association Régionale pour la Sauvegarde de l’Enfance, de l’Adolescence et des Adultes (ARSEAA) dont le siège est à Toulouse.
Afin de respecter les règlements régissant les Vergers Conservatoires, chaque variété fruitière a fait l’objet d’une plantation de trois arbres et chaque espèce fruitière devait être greffée sur le même porte-greffe. Par exemple, les poiriers ont été greffés sur cognassier, les pommiers sur Eat Malling n°8, les pruniers sur myrobolan etc… Ces dispositions obligatoires pour les Vergers Conservatoires permettent de comparer en un même lieu les variétés fruitières entre elles, dans les mêmes conditions de sol et de climat, soumises par ailleurs aux mêmes conditions de culture (fumure, traitements, taille).
En 1988 suivit la plantation d’une vigne composée de 110 variétés locales de vinifera qui s’ajoutèrent à la plantation initiale de 297 variétés de pommiers, 85 variétés de poiriers, 51 variétés de cerisiers, 40 variétés de pruniers, 17 variétés de pêchers et 10 variétés d’abricotiers. Une plantation complémentaire de 150 variétés de pommiers et de 30 variétés de poiriers la compléta en 1989. Un bâtiment acquis par la Commune de Puycelsi, aménagé avec l’aide de subventions départementales et régionales, fut alors mis à disposition du Verger conservatoire pour loger le matériel nécessaire à son entretien, ainsi que pour recevoir et conserver les récoltes de fruits en salles réfrigérées et les présenter dans une salle d’exposition et de documentation ouverte au public.
Après le départ de l’ARSEAA en 1998, la Ferme du Roc fit en partie l‘objet d’un bail de fermage initié par le Département du Tarn qui prit directement en charge l’entretien et le développement du Verger Conservatoire avec l’aide de la Région Midi-Pyrénées. En 2005, le bâtiment, affecté aux besoins du Verger Conservatoire et à sa promotion, devint aussi la propriété du Département du Tarn.
Gardien de la biodiversité pomologique, le Conservatoire des espèces fruitières de Puycelsi participe activement à la sauvegarde des variétés anciennes. Chacune d’elles est identifiée et mieux connue en fonction de ses critères particuliers propres à son cycle végétatif (date de floraison par exemple), à sa résistance aux maladies, aux qualités gustatives de ses fruits etc… De nombreuses classifications peuvent en résulter. Par exemple la population des pêches de vigne, cultivées franc de pied (c’est-à-dire non greffées) donnent lieu à trois groupes selon la couleur de leur chair : pêches à chair blanche, à chair jaune, à chair rouge dites « sanguines », que l’on peut diviser en deux sous-catégories selon que leur noyau est adhérent ou non adhérent, et diviser de nouveau selon que leur peau est lisse ou velouteuse, en les classant ensuite selon leur maturité précoce ou tardive.
Aujourd’hui, la science pomologique bénéficie d’analyses scientifiques plus poussées grâce aux recherches génétiques. On découvre ainsi, par exemple, que la prune de Saint-Antonin (ancêtre de la prune d’Agen) dont les pruneaux séchés vendus aux marchands de Bordeaux faisaient au Moyen Age la richesse des marchés de Saint-Antonin, comprend huit clones différents dans un territoire relativement réduit, compris entre Saint-Antonin, Parisot et Varen, où elle a toujours été appréciée pour les arômes données au eaux-de-vie et pour la qualité de ses confitures. Tellement productive qu’une fois tombée au sol, elle était abandonnée aux cochons qui faisaient ripaille de cette prune dite pour cette raison « prune de porc » !
Etant donnés les noms qu’elles portent et parfois différents selon les lieux, connaître les variétés anciennes de fruits relève aussi de l’ethno-botanique selon leur implantation géographique. Leur migration, étudiée par Madame Evelyne Leterme, explique leur zone d’implantation. Leur appellation en occitan est alors fréquente. Ainsi les pommes de la vallée du Viaur par exemple comprennent « la pommo de la maidino » (la pomme de la grand-mère) ou encore « la canino del clot » qui caractérise une pomme acide…Quant à la famille des pommes « morre de lèbré » (prononcer « mourre » museau de lièvre), 7 à 8 variétés différentes relèvent de cette dénomination pittoresque, quelle que soit leur origine géographique et leur couleur.
Les noms de variétés fruitières indiquant l’origine régionale sont très nombreux, ce qui est le cas des pommes dites Reinettes (Reinette de Caux, de Cuset, du Canada, du Mans, d’Armorique, de Saitonge etc). Il en va de même pour les prunes (Reines-Claude de Moissac, Royale de Montauban, d’Oullins etc). Quant aux poires, les Beurré à chair douce et fondante dominent à l’instar des Beurré d’Anjou, d’Aranberg, d’Amanlis, mais aussi Beurré Superfin, Beurré Giffard, Beurré Bosc, Beurré Ardy, Beurré Clairgeau, Beurré Diel, etc...
Sans oublier de citer les fruits au nom évocateur tel le bigarreau Cœur de Pigeon, la Reine-Claude dorée, l’énorme pomme Alexandre ou sa consœur au nom plus recherché de la Belle Louronnaise…
En ce qui concerne les cépages de vigne collectionnés à Puycelsi, on trouve les cépages portant des noms synonymes tels que les Braucols (ou bien Fer) avec le Duras pour les vins rouges, les « Len de l’el » (portant des grappes loin de l’œil) et « l’ondenc » pour les vins blancs, avec la traditionnelle famille des Mauzac blanc, rose, vert, cépages constituant le vignoble gaillacois qui a acclimaté aussi les Gamay venus de Bourgogne et la syrah provenant de la vallée du Rhône.
La vigne conservatoire comprend les Alicante, les valdiguiers, les Jurançons et autres nombreux cépages anciens qui ne répondent plus aux exigences de qualité des vins d’aujourd’hui et qui, de ce fait, sont abandonnés par les vignerons. On y recense aussi les vieux cépages du vignoble de Cahors (le cot noir appelé auxerrois) ainsi que les cépages du Frontonnais à savoir la négrette, la triplette des cabernet sauvignon-Sémillon-muscadelle et le mérille sans oublier le cépage du vin aveyronnais de Marcillac (le mansoi ou fer servadou).
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Au cours des dernières années, le Département du Tarn a continué à enrichir les collections de fruits à noyau et à pépins en portant la surface du Verger Conservatoire à six hectares. Par ailleurs il a sélectionné, parmi les variétés des premières collections, celles ayant le plus grand intérêt pomologique et cultural, tout en poursuivant les observations nécessaires à une meilleure connaissance des variétés. Les meilleures sont diffusées par la pépinière adjointe au Verger. Cette action de diffusion, soutenue par une exposition annelle des fruits, donne lieu à des rencontres et à des ventes sur place et sur les marchés de la région.
Ce riche assortiment d’un patrimoine arboricole et viticole, que continue à promouvoir le Verger Conservatoire de Puycelsi, lui donne une assise régionale reconnue par les divers Conservatoires de la région Occitanie avec lesquels nombreux sont les échanges et les connaissances relatives aux variétés anciennes.
Les arbres sont une grande famille. La petite cité forestière qu’est Puycelsi tout au long de l’histoire a su agrandir la forêt de la Grésigne et lui donner une autre dimension avec les variétés fruitières anciennes des campagnes alentour.
Il s’agit là d’une diversité biologique particulièrement riche qui, au même titre que les arbres de la Grésigne, participe à un précieux patrimoine que les hommes devront préserver.
Prenez connaissance de ce numéro d’Atouts Tarn de 2020 et de l’article page 20 sur le Verger Conservatoire : ici et n’hésitez pas à emprunter le Sentier du Patrimoine qui vous permettra d’admirer le Verger et la position inexpugnable de Puycelsi.
2 commentaires sur « chapitre 14 : A L’OREE DE LA FORET DE GRESIGNE, LE CONSERVATOIRE D’ESPECES FRUITIERES ET VIGNES ANCIENNES DE PUYCELSI »