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chapitre 6 : REFORMATION DE LA FORET DE GRESIGNE, JUGEMENTS ET SANCTIONS DE FROIDOUR EN 1667

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Les nouvelles dispositions édictées par Froidour en Grésigne

Expert forestier reconnu, le Commissaire Froidour prendra les mesures visant à mettre un terme aux pratiques dévastatrices des usagers riverains, « en déboutant plusieurs de leurs droits à toujours, en suspendant ou en interdisant pour dix ans ceux des autres, en punissant les délinquants suivant la rigueur des règlements…en vue d’accoutumer les riverains et les verriers à acheter le bois ». Il s’agit bien, par-delà la fourniture attendue des meilleurs bois de la forêt de Grésigne à la marine royale, de procurer également des ressources bien sonnantes et trébuchantes au Trésor du Royaume que les guerres et les fastes du Roi Soleil font fondre comme neige au soleil. 

Une fois la forêt remise en état « après son entier recépage », Froidour estimait que pour faire de Grésigne une belle futaie de chênes, il serait nécessaire à l’avenir «  de régler les coupes à l’âge de 150 ans »(1), à la condition « de se régler sur le débit de 48 arpents de bois chaque an pour qu’il y ait des bois propres pour les bâtiments de mer ». Il préconisait ainsi pour les temps à venir de pratiquer, sur quelque 24 hectares, des coupes rases chaque année, afin d’obtenir les plus beaux arbres dans les nombreux triages dévastés ou mutilés depuis le Moyen Age à la suite d’une pratique malfaisante des coupes par pied et non par arpents.

Depuis toujours, à cette époque, la méthode de renouvellement de la forêt était donc le taillis naturel, constitué par les rejets provenant des souches des arbres abattus selon les besoins en chauffage, en merrain ou en charpente, quel que soit leur stade de développement. Mais, plus tard, une note de 1725 indiquera que la forêt de Grésigne était composée encore par « des taillis pour plus des cinq sixièmes de sa surface », mode de conduite qui pouvait produire à cette époque, non des coupes d’éclaircie et d’amélioration permettant de sélectionner les baliveaux les plus aptes à devenir de beaux arbres, mais des coupes plus ou moins désordonnées et fréquemment renouvelées de tous les rejets destinées à fournir prioritairement du bois de chauffe ou à faire du charbon de bois, seules sources d’énergie calorifique à cette époque.

Contrairement à ces pratiques d’une forêt mal gérée, les prescriptions techniques que Froidour demandait au personnel forestier de respecter avec une grande vigilance correspondaient à la conduite d’une forêt mieux organisée, apte à une production mixte de bois de chauffe et de bois d’œuvre. Son diagnostic sur la Grésigne le conduit en effet, de façon concrète et pragmatique, à ordonner la mise en œuvre attentive de prescriptions adressées au personnel forestier : « lesdits officiers seront encore chargés de trois choses, la première de réserver ce qui se trouvera d’arbres de belle espérance, la seconde d’avoir soin que le bois soit bien coupé conformément aux Ordonnances, et surtout que le bois brouté et abrouti soit entièrement recépé, et la troisième de défendre les jeunes ventes aux bestiaux ».  

Enfin, devant le désastre d’une forêt ravagée sur de nombreux tènements, le Commissaire du Roi préconisait des méthodes radicales après sa visitation fort détaillée des lieux. Selon les prescriptions et les formes contenues dans  ses « Instructions pour les Ventes des Bois du Roy », et dans l’attente d’obtenir ces belles futaies grésignoles, Froidour faisait procéder dans l’immédiat pour les parcelles les plus endommagées de la Grésigne à des coupes rases importantes, par voie « d’adjudications portant sur cent à deux cents arpents au total  par an  » (soit 50 à 100 hectares), répartis sur trois zones de la forêt les plus dévastées, à savoir « l’une proche de la verrerie de Merlens, tirant du côté de Puicelcy, l’autre au-dessous de la verrerie de Vaour tirant du côté de Penne, et l’autre du côté de Castelnau en continuant vers Saint-Beauzile et Campagnac ». Pour obtenir le meilleur prix de ces coupes rases définitives, Froidour stipulait que « chaque partie sera divisée en lots de six, sept ou huit arpents, afin que toutes sortes de personnes puissent y enchérir », en précisant de façon très méthodique que « les officiers exposeront les ventes en bloc pour être adjugées à un seul marchand, ou bien seulement, chacune des trois parties pour être adjugées à trois différents marchands, ou bien toutes par parcelles », étant bien arrêté que « lesdits officiers prendront l’offre la plus avantageuse au Roy, soit sur le total, soit sur chacune des trois parties, soit sur chacune des parcelles prises séparément ».

Certains jugeront que ce type d’adjudication était complexe mais il fut d’autant plus efficace que les ventes de bois portant désormais sur des surfaces bien déterminées  remplaceraient les ventes par pied. Cent ans plus tard, un Mémoire, établi par la Grande Maîtrise de Villemur en 1754 (2), indiquait que la Grésigne était, « pour les deux tiers de sa surface une superbe futaie », c’est-à-dire une haute futaie de feuillus correspondant à une forêt composée de grands arbres ayant eu une longue croissance, par opposition au taillis composé de rejets au faible diamètre et d’âge récent composant gaulis et perchis selon les termes utilisés actuellement par les techniciens forestiers. Nous verrons que le transport de ces arbres de haute futaie, que le Comte de Maillebois exploitera avec « une colonie de Vosgiens » installée à Puycelsi lors de l’inféodation de la Grésigne de 1770 à 1785, justifiera la nécessité de projeter un canal sur la Vère en vue d’assurer le transport des bois vers Toulouse ou Bordeaux, via Montauban et Moissac sur le Tarn, et vers les autres villes portuaires établies sur les berges de la Garonne.

Plus que la réformation du mode d’exploitation ainsi que du mode de vente des coupes et des soins à leur apporter, Froidour appliquera une politique répressive résultant de jugements des actes de délinquance. Les sanctions qui en découleront, infligées au cours de l’année 1667 à la demande de Froidour, aux divers bénéficiaires des droits d’usage, verriers compris, ainsi qu’à tout le personnel forestier en Grésigne, durent ainsi s’avérer être dissuasifs, au moins passagèrement, pour mettre un terme à la plupart des nombreux délits découlant de l’exercice abusif de privilèges accordés sous forme de droits d’usage.

L’amélioration de la forêt de Grésigne, constatée une centaine d’années après le passage de Froidour, sera le résultat de sa grande sévérité autant que de sa grande compétence, ce dont le Comte de Maillebois bénéficiera un siècle plus tard, lorsque Louis XV lui accordera, en 1770, l’inféodation de la Grésigne.

Sanctions collectives prises par Froidour (mars 1667)

Remontant à la cause première des abus, Froidour fit rechercher tous les titres devant justifier les privilèges octroyés aux communautés périphériques et à diverses familles nobles dans le but d’en contrôler l’authenticité, et d’en supprimer autant que possible le plus grand nombre, en particulier ceux dont les titres étaient perdus, sans fondement réel ou bien reposant sur des preuves litigieuses. 

Par ailleurs, bien au fait de l’identité des personnes délinquantes et de leurs actes préjudiciables au domaine forestier du Roi que maints procès-verbaux lui avaient signalés en 1658, après qu’il ait lui-même constaté l’étendue des déprédations, Froidour était déterminé à appliquer aux populations grésignoles, dès le mois de mars 1667,  les sentences immédiates et les nouveaux règlements dont s’inspirera ensuite Colbert pour publier le nouveau Code Forestier par Ordonnance du 13 août 1669.

Louis XIV

Ainsi qu’il en avait reçu les pleins pouvoirs, Froidour prononça ainsi, du 23 au 28 mars 1667, une série impressionnante de jugements sans appel, édictant des peines sévères pour sanctionner d’une part le personnel forestier de son incurie, d’autre part pour châtier le comportement licencieux des usagers qui, quels que soient leurs titres de noblesse,  se prétendaient titulaires de toutes sortes de privilèges en forêt de Grésigne.

Personne ne fut oublié ni n’échappa à la justice du Commissaire, les uns pour avoir mal surveillé le Domaine du Roi, les autres pour avoir trompé ou pour avoir mis à profit cette surveillance défaillante…ou par trop bienveillante, voire même complice de ces « officiers forestiers endormis  ».

Révocation du personnel forestier

Du simple « garde-au-bois » jusqu’aux « capitaines forestiers » en passant par les « sergents-gardes », tous payèrent des amendes. Celles-ci furent fixées de 6 à 30 livres pour les simples gardes à pied qui  se trouvèrent au nombre de quatre à être révoqués : « Bounoneit, Delerme, Filhol et Toulze ».

Succédant aux « premiers forestiers à cheval » responsables de la Grésigne aux 15ème et 16ème siècles parmi lesquels avaient figuré le célèbre Galiot de Génouillac (1466-1546), lequel fut titré châtelain de Penne en 1503, avant d’être nommé Grand Maître de l’Artillerie Royale en 1512 pour contribuer à la victoire de François Premier à Marignan en 1515, puis se retrouva capitaine du château de Najac en 1530 avant d’achever sa vie Gouverneur du Languedoc, les capitaines forestiers qui furent nommés en Grésigne à partir du 17ème siècle eurent une réputation moins glorieuse que leur illustre prédécesseur.

On peut en juger par le fait que les quatre capitaines forestiers qui se partageaient en 1666 les modestes gages de 27 livres par an chacun pour les défrayer de leur surveillance commune de la Grésigne, furent jugés par Froidour laxistes et inefficaces et, bien que nobles, se virent non seulement confisquer leurs charges mais écopèrent d’une lourde amende fixée respectivement à 200, 300, 500 et 1 500 livres pour chacun d’eux « le dit François d’Audouin(1), Sieur de la Salle, le dit François de la Prune (2) Sieur de Cardonnac, le dit Pierre de Rabastens,  Sieur de Bleys, le dit Jean de Verdun ».

Les deux sergents-gardes, « Barryé et Bergougnou », se virent, eux, frappés d’amendes d’un coût intermédiaire de 12 et 50 livres, et furent également congédiés.  Quant au greffier du Consulat de Puicelcy, « Arnaud de Larroque », appartenant à une lignée des notaires exerçant dans cette communauté et qui était aussi en charge « de la Foresterie de Grésigne », il se vit également remercié de ses services malhonnêtes.

Suspension provisoire ou définitive des droits d’usage aux communautés riveraines de la forêt de Grésigne

Les Consuls des trois plus importantes communautés riveraines reconnues globalement coupables, furent tenus de mettre leurs habitants dans l’obligation de se voir imposer sur-le-champ la même amende collective de 1 500 livres, somme à répartir sur les chefs de famille de chacune des trois juridictions de Montmiral, Penne et Puicelcy. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, cette peine fut aggravée pour ces communautés par la « suspension décennale » des droits de leurs habitants en Grésigne. 

A l’exception du ramassage du bois mort, tous les autres droits d’usages seront supprimés, en principe, par le Code forestier institué par l’Ordonnance du 13 août 1669. Pour ce faire, une indemnité compensatrice à cette interdiction définitive pour les habitants d’exercer dorénavant leurs privilèges en Grésigne fut prévue et réservée aux seuls titulaires des droits confirmés avant 1560. Mais  cette compensation indemnitaire ne fut jamais payée par les finances royales aux trois communautés riveraines principales. En conséquence, ces privilèges resteront acquis, plus ou moins révisés et réduits au seul droit d’affouage consistant pour les habitants de Montmiral, Penne et Puicelcy,  à prendre le bois de chauffage gisant au sol, tels qu’en fait mention l’état de 1720.

Ces arrêts de « suspension décennale des droits acquis » concernant les populations montmiralaises, pennoles et puicelciennes furent infligés aussi aux familles nobles vivant aux lieux-dits de « Rouyre et Lamothe » (Commune de Sainte-Cécile-du-Cayrou) l’une et l’autre étant amendées de 400 livres. Cependant, les familles nobles du sieur de Rouyre, de Philippe de Bayne et du Marquis de Lamothe se virent accorder de nouveau peu après une rente annuelle réduite à « 30 cordes de bois de chauffage par les mains des marchands », c’est-à-dire par les exploitants forestiers adjudicataires de coupes en forêt de Grésigne.

Quant aux communautés du Verdier (à laquelle était rattachée Saint-Beauzile) et celle de Vieux, elles furent taxées respectivement de 300 et 600 livres et furent « déboutées pour toujours » de leurs droits et privilèges pour raison « d’absence de titres valables ». Il en fut de même pour les communautés de Bruniquel, Campagnac et Vaour qui durent s’acquitter chacune de 300 livres d’amendes et qui, faute de pouvoir « exhiber leurs anciens titres », virent leurs habitants également privés à jamais de l’exercice de tous privilèges en Grésigne.

Cette suppression des privilèges, temporaire à l’égard de certains, définitive à l’égard des autres, interdisant de s’approvisionner en bois pour leurs divers besoins en Grésigne, porta sans nul doute un tort considérable aux habitants les plus démunis, qui étaient majoritairement les plus nombreux dans ces pays grésignols comptant parmi les régions pauvres dans la France de l’Ancien Régime, tant du côté des vallées de la Vère que de l’Aveyron.

Ainsi, en 1669, la Réformation mise en place par Colbert marque pour la Grésigne l’affirmation du pouvoir absolu de Louis XIV vis-à-vis des institutions locales et de leurs ressortissants. Suite aux sanctions découlant de la Réformation de 1542 en Grésigne sous François Premier, les dispositions et les jugements arrêtés par Froidour dès 1666-1667 marquent la continuité de la politique du pouvoir central confirmant la dissociation de l’espace forestier grésignol avec l’économie des communautés  limitrophes.

Confrontée à la rancœur, la méfiance et la désobéissance, il faudra cependant à la puissance publique près de deux longs siècles encore pour se libérer des servitudes usagères en Grésigne à la suite du procès entre la Commune de Puicelcy et l’administration des Eaux-et-Forêts qui dura de 1827 à 1854. Les populations riveraines, agricoles et artisanales, qui vivaient chichement grâce à la complémentarité des ressources de l’espace forestier et de celles provenant de son environnement rural, vont utiliser toutes les formes de résistance dont la violence à l’égard des gardes forestiers n’était pas exclue.

Pour ces populations grésignoles, la forêt était en effet bien plus fréquentée et usitée qu’aujourd’hui.  Considérée longtemps comme « le fleuron des biens », selon l’expression de l’historien Braudel, dans  une économie où le cours des bois monta en flèche à la fin de l’Ancien Régime jusqu’au 19ème siècle, avant que le charbon de terre commence à se répandre pour chauffer les villes, le bois restait par un matériau indispensable à la construction des maisons et à la fabrication de nombreux objets mobiliers.

Dans nos campagnes isolées, un matériau aussi essentiel que le bois était alors polyvalent, utile à la fois pour la vie domestique (bois de chauffage et de construction), et pour les diverses activités agricoles et artisanales souvent  exercées à cette époque de façon complémentaire au cours des saisons. Cette pluriactivité était le cas notamment de nombreux petits propriétaires de ces pays grésignols ne possédant, si l’on en juge  par le compoix de Puicelcy, que peu de surface à cultiver avec un jardin, un lopin de vigne et quelques parcelles de terre. C’étaient, pour une large majorité de la population locale, des « brassiers » qui survivaient difficilement grâce à la louée saisonnière des enfants dès leur plus jeune âge comme bergers et servantes, et grâce au travail journalier des autres membres de leur famille pour une maigre rémunération de 10 à 15 sols par jour à l’époque des semailles, de la fenaison et des moissons. Ces travaux agricoles terminés, l’un se faisait bûcheron, scieur de long, charbonnier, chaufournier, merrandier, l’autre tourneur (« fusaires et roubinetaires »), maçon, tailleur de pierre, et autres métiers du bois spécialisés (menuisier, « fustier» (charpentier), sabotiers, charrons, jougatier…etc…) ; autant d’activités rurales venant compléter la quête gratuite du bois en forêt de Grésigne, unique énergie indispensable à la vie quotidienne sous forme de fagots et bois de chauffage.

En plus de la construction des maisons à colombages de nos hameaux, tout lopin de vigne nécessitait pour son propriétaire de disposer de « redortes » (liens), de clôtures diverses, de piquets et d’un minimum de vaisselle vinaire en bois. Dans un environnement de vignoble, le façonnage du merrain volé en Grésigne, commercialisé de manière souvent illicite, permettait de se procurer quelques pièces de monnaie en le vendant à un tonnelier de la région gaillacoise.  Et pour éviter la famine, on rentrait chez soi après le ramassage d’un sac de glands pour nourrir le cochon et d’une charge de bois mort pour la cuisine quotidienne ou bien pour se chauffer.

Ces manants, à la fois mi-cultivateurs et mi-artisans qui se transmettaient entre générations des tours de main que seuls la répétition et un long apprentissage leur permettaient de bien maîtriser, privilégiaient le bois d’œuvre, matériau autrement plus précieux que le bois de chauffe. La Grésigne procurait toutes sortes d’essences telles que le buis, l’alisier, le cormier ou le charme, le chêne, le hêtre, le châtaignier… Autant de bois avec des qualités propres, selon chacune de ces essences feuillues , qui servaient aux uns pour tailler un joug en bois d’ormeau, fabriquer des arsons en frêne, tourner des fuseaux en buis ou en charme utiles au tissage de la laine, aux autres de se procurer un manche d’outil en bois de cornouiller, un fouet, un fléau nécessaire au dépiquage du blé et des menus grains (millet, lentilles…) et à d’autres encore, après les avoir façonnées à l’herminette, d’obtenir quelques planches destinées à la fabrication d’un coffre ou d’une maie, voire aussi à remplacer une poutre, un soc d’araire, le timon d’une charrette tandis que femmes et enfants s’affairaient à faire des fagots de menu bois et de branchage, indispensables entre autres usages à la cuisson du pain au four banal .  

Confiés à un pâtre commun sur des tènements prescrits par l’administration, la garde des porcs en forêt facilitait pour chaque famille l’engraissement de ces animaux, si friands de glands que d’autres allaient ramasser clandestinement. Les fagots de feuilles, confectionnés en été avec des branchages verts provenant  de chênes, de frênes et d’ormes en particulier, étaient consommés sur place lors des sècheresses estivales sinon pouvaient servir, une fois séchés, à l’alimentation hivernale d’un maigre troupeau familial de chèvres et de brebis. Le foin était réservé aux animaux de bât, ânes et mulets, très fréquents à cette époque pour suppléer  à de rares charrois difficiles à conduire sur des chemins « vieux comme le déluge » et aussi mal entretenus que difficiles et dangereux à fréquenter. 

La cueillette des châtaignes, des nèfles et des cormes que l’on allait marauder  sur les arbustes de ces espèces forestières fruitières et nourricières, nombreuses en forêt de Grésigne, était fort appréciée pour compléter un pain de froment ou de méteil qui devenait régulièrement de plus en plus rare et cher lorsque l’année était calamiteuse afin d’assurer la soudure avec le battage de la nouvelle moisson. On y ramassait également à la saison cèpes, girolles et oronges que l’on pouvait conserver longtemps, une fois séchés naturellement. Enfin, cela va sans dire, on y braconnait à l’occasion les écrevisses, le lièvre ou le sanglier pour améliorer le menu des repas familiaux les jours de fête.

Aussi, au cours de ces siècles de pénurie qui caractérisent  l’histoire de nos petits pays grésignols, temps de privations qui dureront, par suite de leur surpeuplement croissant, jusqu’en 1850 et quelques années au-delà, avant que ne commence un exode démographique massif qui conduira leurs communes au seuil de la désertification actuelle, la forêt de Grésigne représenta longtemps un enjeu important comme source de précieuses et de menues richesses, indispensables à la vie rude et autarcique d’une très large majorité d’une population rurale environnante, aussi pauvre que besogneuse et industrieuse.

Les actes de délinquance et les délits de toute nature, sanctionnés par Froidour quelques 130 années avant la prise de la Bastille, se poursuivront donc longtemps encore en forêt de Grésigne malgré les peines encourues. Pillage et saccage de la forêt redoubleront notamment pendant les années révolutionnaires. Vols et chapardages resteront le témoignage d’un espace forestier d’autant plus convoité qu’ils étaient soumis au risque de se voir infliger de lourdes sanctions par la puissante et autoritaire administration royale, celle que symbolisait Froidour  en 1667.

Si l’on ne peut encore parler de sylviculture (il faudra attendre la création de l’Ecole des Eaux et-Forêts en 1824 pour utiliser ce terme), Froidour connaît bien les règles d’une bonne gestion forestière. Il condamne les pratiques traditionnelles comme l’affouage, et plus encore la présence des animaux et leur pâturage des sous-bois, autant d’usages archaïques des populations riveraines qui nuisaient à la régénération naturelle des peuplements forestiers. Chargé par Colbert de développer la haute futaie pour procurer à la « Royale » des bois de marine, Froidour s’opposait à l’exploitation généralisée des taillis en bois de chauffe et, pis encore, en faveur de quelques gentilshommes verriers soupçonnés de protestantisme et que la monarchie de droit divin traquait sans pitié après la révocation de l’Edit de Nantes en 1685. Si Froidour voulait chasser de la forêt de la Grésigne manants et verriers, il mit aussi un terme aux abus commis par de puissantes familles de la noblesse locale.

Amendes individuelles pour  délinquants divers, familles nobles et gentilshommes verriers

A titre d’exemple, Froidour estimait sûrement indispensable et salutaire dans le cadre de ses jugements répressifs, prononcés en mars 1667, de punir individuellement une quarantaine de manants, qualifiés « tous de pauvres gens », vivant plus ou moins misérablement en utilisant le bois de la forêt pour leur travail de merrandier, de fustier, de charron, de sabotier, de tourneur ou de laboureur. Ceux-là se virent infligés des « amendes de 6 à 20 livres avec menace du fouet en cas de récidive » !  En ces temps de disettes fréquentes, on ne plaisantait pas avec le menu peuple écrasé d’impositions et de dîmes, que les sbires de Louis XIII et de Louis XIV avaient l’habitude de mater par contrainte de corps.   

Il ne faut pas oublier non plus qu’une quinzaine d’années avant « la Grande Visitation et Réformation des Forêts Royales », le jeune et futur Louis XIV vécut la Fronde au cours de laquelle l’arrogance outrancière des familles nobles blessa son orgueil d’enfant, ce dont il garda un fort mauvais souvenir. Il n’est donc pas surprenant de voir sanctionner très durement dans les jugements de Froidour quelques familles nobles des plus huppées de la région qui s’octroyaient le droit, non seulement de prendre du bois en Grésigne mais aussi de chasser dans la forêt du Roi les « bêtes noires » (sangliers), « rousses » (chevreuils) et « fauves » (loups) (5).

Ainsi,  plusieurs des représentants de la noblesse, vivant alentour de Grésigne au  17ème siècle, n’échappèrent pas, eux aussi, à la justice du Roi rendue par Froidour. Ce fut le cas  des seigneurs ci-après désignés : Louis Roger et Bertrand Roger de Comminges, célèbres Vicomtes de Bruniquel, durent acquitter chacun une amende de 150 livres, le fastueux et très riche Marquis François de Cazilhac-Cessac, seigneur de Milhars, qui n’hésitait pas à prendre du bois en Grésigne pour l’entretien de ses moulins et de leurs chaussées sur l’Aveyron ainsi que pour ses papeteries, se vit infliger une amende de 3 000 livres avec la perte totale de ses droits. Même peine à la Comtesse de Bioule, Marie Isabeau de Saint-Chamond, veuve et héritière de Louis de Cardaillac, Comte de Bioule et protestant de surcroît. Ce qui n’arrangeait en rien la colère de la justice du Roi à l’égard de sa veuve, en ces temps d’intolérance religieuse où l’on s’apprêtait à envoyer les huguenots aux galères de Marseille pour afficher la gloire et la puissance d’un Roi de droit divin qui prônait que « la Nation est à Dieu ce que l’âme est au corps humain ».

Quant aux modestes gentilshommes verriers, la grande Réformation allait les priver de leurs privilèges, suivant en cela les conseils de Froidour qui proposait, selon les termes de son rapport de 1658, « qu’au lieu de souffrir, moyennant une somme de cinquante livres d’albergue que les verriers payent pour qu’ils eussent la liberté de prendre du bois par toute la Forêt, il fallait au contraire les décharger de l’albergue et leur ôter cette faculté abusive, et les obliger à user le bois des ventes ainsi que l’on a fait par les jugements rendus en ladite réformation ».

Maison de verrier à Haute-Serre

Avec la dure concurrence que les verriers de Grésigne allaient devoir affronter à la suite de la création à « Cramaux » de la première verrerie au « charbon de terre » par le Marquis de Solages en 1750, Froidour avait donc, presque cent ans auparavant, rendu déjà plus onéreuse et moins rentable la fabrication des verreries de Grésigne pour lesquelles le bois devait être désormais acheté par voie d’adjudication.

Quelques verres de Grésigne

Pis encore, trois des quatre gentilshommes verriers dénombrés par Froidour en Grésigne furent frappés le 24 Mars 1667 par de très lourdes amendes dont le paiement contribua à compromettre l’avenir de certaines de leurs verreries. Ce fut le cas de Jean Audouin,  sieur de Belvèze qui, bien qu’ayant été autorisé en 1658 à prendre gracieusement le bois de construction pour les bâtiments de sa verrerie de Lissart, récemment créée, et à se fournir en bois de chauffe par voie d’adjudication pour les besoins de son industrie, ne respecta pas cette dernière clause. Ce qui le conduisit à se voir accabler par une amende de 500 livres qui provoqua la disparition rapide de sa verrerie, encadastrée encore à son nom sur le compoix de Puycelsi en 1678. Tel fut aussi le cas du sieur Pierre de Filiquier,  gentilhomme verrier à Merlins (6) qui écopa d’une amende de 100 livres et qui préféra se retirer peu après à Montrosier. Quant à Paul de Granier, sieur de Bernoye, gentilhomme verrier alors installé à Haute-Serre dans la juridiction de Vaour, où le noble protestant Pierre de Robert exerçait encore son art à la Verrerie Basse, il fut puni par Froidour d’une amende de 500 livres avec « interdiction de se servir d’autres bois que celui des ventes  ».

Les limites d’une Réformation de la forêt de Grésigne exercée dans un contexte local difficile

Il convient cependant de rappeler que le passage de Froidour en Grésigne se déroule au cours d’une période où la monarchie absolue n’a guère le souci de rendre heureux le petit peuple. Après la grande Réformation de 1669 qui avait apporté à l’espace grésignol de profondes modifications techniques et juridiques, le 17ème siècle va s’achever dans la misère du petit peuple de nos régions, accablé par la taille et les dîmes que l’on aggravera par la capitation créée en 1695 afin de renflouer les caisses du Roi-Soleil, vidées par les dépenses dues aux guerres et aux fastes de Versailles. Une fin de règne catastrophique selon l’historien Pierre Goubert, si l’on tient compte des « années diseteuses » de 1693-1694 et du « terrible hiver de 1709 » qui étaient assurément « las annados del mal tems » comme le disaient nos aïeux occitans de la Haute-Guyenne et du Haut-Languedoc, provinces situées de part et d’autre de Grésigne.

Il faudra donc attendre le retour à une démographie croissante dans nos communautés grésignoles à partir des années 1720-1730, résultat d’un excédent des nombreuses naissances, signe de confiance retrouvée, par rapport au nombre des décès liés aux privations et aux dernières épidémies de peste, pour retrouver les conditions d’une économie meilleure productrice de richesses et de bien-être. « Il n’y a en effet de richesses que d’hommes », selon le précepte de Jean Bodin, célèbre économiste. C’est dans un environnement plus clément, au cours de la seconde moitié du 18ème siècle seulement, que le désenclavement de Grésigne, dont Froidour avait noté l’impérieuse nécessité quelque cent années auparavant, va être entrepris mais échouera au cours de  l’inféodation de la forêt au Comte de Maillebois entre 1770 et 1785, avant que ne débute la tourmente révolutionnaire.

Le désenclavement de la Grésigne persistera encore longtemps. Certes, la réalisation du canal du Midi allait bouleverser l’économie de l’Aquitaine et du Languedoc à partir de 1681, mais il y avait encore loin de la coupe aux lèvres entre la Grésigne et le futur canal.  En effet, l’ambitieux projet du canal de la Vère sera abandonné après avoir semé la zizanie en Albigeois entre 1748 et 1774 pendant plus d’une vingtaine d’années, et ne servira donc jamais à porter les bois de la Grésigne « jusqu’à la pointe de Moissac, et de là, vers Bordeaux  par la Garonne, ou vers Toulon en passant par les étangs  du Bas-Languedoc », ainsi que le prévoyait Bourroul géographe royal au service du Comte de Maillebois pour rentabiliser l’inféodation qu’il  obtiendra de Louis XV.

Le désenclavement de la Grésigne est une longue histoire. Après l’échec du  canal de la Vère, il ne débutera guère avant la Révolution et ne commencera à se réaliser que par des chemins dignes de ce nom, ébauches des chemins départementaux actuels. Ces travaux routiers ne seront effectués qu’en partie par le Comte de Maillebois qui en sera ruiné. Les bois de Grésigne resteront donc liés en grande partie à une utilisation locale, notamment pour approvisionner en bois et charbon de bois les forges de Caussanus à Bruniquel de 1796 à 1880 à partir de minières de fer de Penne et de Puicelcy. La voie ferrée jouera ensuite un rôle important à partir de la seconde moitié du 19ème siècle jusqu’aux premières décennies du 20ème siècle. On continuera à utiliser la traction animale jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale pour transporter les bois de Grésigne jusqu’à la gare de Bruniquel  dès la  réalisation en 1858 de la voie  ferrée Montauban-Lexos-Capdenac.

Comme on le voit, les préoccupations de Colbert resteront vaines et illusoires pour que la Grésigne, du fait de son enclavement, puisse  fournir à la marine du Roi-Soleil et de ses successeurs le bois utile à la construction de ses bateaux. La Réformation des Eaux-et-Forêts confiée à Louis de Froidour par le Ministre de Louis XIV confirmera cependant la reprise en main du pouvoir central sur une Grésigne dévastée par la dizaine de milliers d’habitants qui l’entouraient.

Ainsi, la Réformation des Eaux-et-Forêts, promulguée en 1669, va annoncer la fin des droits d’usages dont les abus, en Grésigne, avaient fait d’une forêt féodale et royale une forêt-cueillette naturelle,  mal surveillée et laissée peu ou prou à l’abandon pour satisfaire les besoins quotidiens d’une population dont le bois était le matériau vital.  Les communautés environnantes, gérées par des Consulats subissant la pression quotidienne d’une pauvreté généralisée, conduisaient le pouvoir local à l’impuissance, au laisser-faire, voire à la complicité sinon à l’opposition avec l’administration des Eaux-et-Forêts. Cet état de fait explique la permanence des réclamations, griefs et justifications de titres que les Consuls des villages grésignols exprimaient lorsqu’ils étaient convoqués à la Table de Marbre par les officiers forestiers de la Maîtrise de Toulouse. Rendus responsables des abus commis en forêt, les Consuls se voyaient chargés, sous peine d’être démis de leurs fonctions, de sanctionner le comportement licencieux de leurs administrés par le paiement des lourdes amendes collectives.   Il ne pouvait résulter de cette situation ambivalente de répression exercée entre pouvoir central et pouvoir local que l’accroissement des délits dans une forêt saccagée, sans aucun souci de la perpétuité de la forêt ni du respect des arbres et de leur environnement.


  1. Les plans d’aménagement actuels prévoyant l’exploitation des coupes en Grésigne sont établis sur un cycle un peu plus long que celui de Froidour,  à savoir 150 ans pour les coupes de chênes ou de hêtres dans les conditions pédoclimatiques de notre région.
  2. Cf l’étude de ce rapport dans le chapitre intitulé « Un mariage raté entre la forêt de  la Grésigne et le canal de la Vère », pages 106 à 111 du livre de l’auteur « Puicelcy, Lieu de Mémoire », juillet 1996
  3. L’un des parents de ce capitaine forestier était Antoine d’Audouin dit La Salle, lui-même issu d’une famille de verriers de Grésigne. Il commandait la place-forte de Puicelcy en 1587 pendant les Guerres de Religion où il fit prisonnier le célèbre capitaine protestant Payrol dont on visite le très beau manoir à Bruniquel et que les Ligueurs firent exécuter à Toulouse en 1587 (Colonel Bourdès « Documents épars », II, 1914)
  4. Descendant de Louis-François de Laprune qui put acquérir en 1620 pour 9 000 livres le château de Roquereine (appelé encore de nos jours « lou Castel de la Pruno »), bâti au 13ème siècle au-dessus de Marnaves pour contrôler la vallée du Cérou ; importance stratégique qui valut à son acquéreur qui commandait la garnison de Cordes pendant les Guerres de Religion une aide financière de 3 000 livres de ladite ville pour soustraire ce château aux huguenots de la « République Saint-Antonin » qui l’occupèrent à plusieurs reprises en 1562, 1573, 1585 afin de tenir tête aux « papistes de Cordes » (Raymond Granier, « Vieilles Pierres : Roquereine», deuxième édition 1981).   
  5. Les loups  survécurent  en Grésigne jusqu’au milieu du 19ème siècle, ainsi que le rapporte un procès-verbal du Maire de Puicelcy Joseph Denis Juin en date 28 décembre 1829, accordant « une prime de 15 francs à Pierre Biau de Lascroux, lequel ayant aperçu 3 loups venant de la Forêt Royale de Grésigne se dirigeant vers le hameau de Lascroux, les ayant poursuivis et les ayant atteint dans le Bois Cournut, et leur ayant tiré dessus, il en atteignit un qui resta sur place…»
  6. Les verreries de Lissard et de Merlins étaient situées à la lisière de la forêt, au nord de Puycelsi et à proximité de l’église Notre-Dame de Mespel
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7 commentaires sur « chapitre 6 : REFORMATION DE LA FORET DE GRESIGNE, JUGEMENTS ET SANCTIONS DE FROIDOUR EN 1667 »

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