Vue du sud, à partir des routes venant d’Albi ou de Montauban, la Grésigne constitue la ligne d’horizon située au nord et apparaît comme un massif sombre surmonté de hautes croupes boisées. On reconnaît de loin le massif forestier dont les pentes dévalent vers la vallée de la Vère et se terminent à l’est par les plateaux du Cordais, tandis qu’au nord, en venant de Cahors vers Caussade, les hauteurs grésignoles se confondent avec la surface monotone et tabulaire des causses de Limogne qui, avec les causses d’Anglars, s’étendent depuis l’Aveyron dans le triangle délimité par Penne, Saint-Antonin et Vaour.
La forêt de Grésigne : borne-témoin des temps géologiques
La géologie de la Grésigne est d’une grande complexité et a fait l’objet de nombreuses études et recherches. Reposant sur un sol de grès argilo-siliceux de couleur rouge qui lui a donné son nom, le socle de la forêt de la Grésigne date de l’ère primaire et plus précisément du Permien avec une épaisseur de 2 500 à 3 000 mètres comme le prouvent les carottes provenant d’un sondage fait en 1962 à la Grande Baraque. Les géologues situent l’anticlinal de la Grésigne entre l’extrémité de la faille de Villefranche-de-Rouergue et celle de la partie méridionale de la faille limitant les Causses du Quercy composés des dépôts marins du crétacé et du jurassique.
Il s’agit donc d’une forêt qui s’est installée, voilà quelque deux cents à trois cents millions d’années, dans le prolongement de la bordure sud-ouest du Massif Central. Le massif grésignol, dont l’altitude atteint 400 à 500 mètres, se voit de loin car il domine au sud, en les séparant, les molasses du Bas-Quercy de celles de l’Albigeois. Au nord, la Grésigne voisine les causses d’Anglars bordés par les gorges de l’Aveyron, et jouxte au nord-ouest les causses tarnais de Mespel et des Abriols, limités par les pentes qui longent la basse-vallée de la Vère depuis Castelnau-de-Montmiral jusqu’à Puycelsi, Larroque et Bruniquel.
Soumise à des plissements et à des failles, érodée par l’action du vent et des eaux, la Grésigne fut, durant l’époque primaire permienne, un formidable cap atteignant une altitude bien plus élevée qu’aujourd’hui à l’extrémité du Massif Central. Elle repose en fait sur un territoire qui résulte d’une véritable ruine géologique. Les mers de l’ère secondaire au cours du crétacé, puis celles du tertiaire au cours du jurassique entourèrent de part et d’autre ce promontoire en y accumulant les sédiments marins des causses du Quercy, jouxtant au sud les molasses actuelles du Bas-Quercy montalbanais et de l’Albigeois.
Devenue aujourd’hui une cuvette recouverte d’un sol rouge et gréseux formant un substratum peu épais où s’enracinent les arbres sur un mètre de profondeur tout au plus, il ne nous reste de la Grésigne de l’époque primaire qu’une série de dômes arrondis et de profondes ravines au fond desquelles les eaux se regroupent pour former les « rôs » , ces ruisseaux sauvages qui conduisent à la Vère. Entourée par des rebords boisés élevés dont schistes et grès ont mieux résisté à l’érosion, la Grésigne se présente à nous avec une topographie en creux aux vallées complexes dont les fortes pentes ont rendu longtemps difficile leur exploitation forestière.
La paléobotanique peut nous donner quelques indications sur l’évolution de la vie végétale qui fut également celle du peuplement forestier de la Grésigne. Il y a quelque 430 millions d’années, apparurent les premiers végétaux qui peuplèrent la surface de la terre sous forme de mousses et hépatiques. Mais ce fut durant les 50 millions d’années suivantes que ces premières plantes vasculaires s’équipèrent de feuilles et de racines pour donner naissance aux plantes géantes appartenant aux trachéophytes. Ces fougères, prêles et lycopodes, acquirent un port arborescent entre -370 et -300 millions d’années, période de diversification des insectes. Ainsi que nous le révèlent les fossiles végétaux ou animaux, terrestres ou marins, la vie se développa ensuite sous ses diverses formes. A la fin du Carbonifère, apparut l’archéoptéryx considéré comme l’ancêtre des conifères, bien avant la période du Permien (-299 à -251 millions d’années) auquel succédèrent le Trias et ses dinosaures (-250 à -199 millions d’années) puis le Jurassique (-199 à -145 millions d’années), suivi du Crétacé ( -145 à -65 millions d’années) où les oiseaux, les mammifères et les premières plantes à fleur à reproduction sexuée virent le jour.
Reste donc bien mystérieuse et fantasmagorique cette nuit des temps géologiques, comptée en millions d’années au cours desquelles se succédèrent les chaînons de la vie végétale et animale sur un territoire grésignol qui fut et reste une borne-frontière, témoin des bouleversements et des accidents géologiques. Et ce, depuis l’époque primaire jusqu’à l’époque quaternaire au cours de laquelle ruisseaux et rivières actuels creusèrent leurs vallées en y déposant divers alluvions, bien avant que les premiers hominidés fassent leur apparition sur notre terre il y a quelque millions d’années seulement, leurs successeurs arrivant autour de la Grésigne il y a quelque centaines de milliers d’années…
La forêt de Grésigne dans son environnement préhistorique
Sur le pourtour de cette forêt primitive qui a subi de profondes modifications au cours des périodes géologiques, où toute végétation a pu disparaître pendant les époques les plus froides, les premiers hommes ont vécu sur les causses alentour dont ils appréciaient la nature karstique apte à leur fournir un habitat dans les grottes et abris sous roche. Marqué par les glaciations successives qui eurent lieu au cours de ces époques dont la chronologie s’établit en millénaires, il est vraisemblable que l’espace arboré de la Grésigne fit place à des espaces de toundras plus ou moins herbagers. Il permettait ainsi de nourrir des animaux divers appartenant à une faune boréale ou tempérée selon l’évolution du climat à des époques plus ou moins froides, sèches ou humides, alternant avec des périodes de réchauffement. Cet environnement naturel, caractérisé par la complémentarité des sols différents du massif grésignol avec ceux des causses voisins favorisait une riche vie animale pour assurer la nourriture des premières tribus humaines.
Les préhistoriens distinguent les diverses civilisations humaines qui se sont succédées en les rattachant au Paléolithique qui s’acheva vers -35 000 ans, puis au cours du Néolithique qui se termina vers -5 000 ans faisant place au Mésolithique de la pierre polie et à l’âge des métaux. Fréquentant les grottes et les cavités rocheuses, établissant selon les époques leurs campements itinérants dans des abris sous roche sinon dans des sites de plein air bien exposés et protégés, les chasseurs-cueilleurs devinrent sédentaires comme éleveurs et agriculteurs entre -6 000 et -3 000 ans. Ainsi vécurent successivement les premiers hommes autour du massif forestier de la Grésigne privilégiant les causses karstiques et les pentes du bassin de la moyenne vallée de l’Aveyron comprise entre ses affluents de la Vère et du Cérou .
Au Paléolithique inférieur, entre 350 000 et 180 000 ans avant notre ère, les premiers homo erectus remontèrent, à partir de la Garonne et du Tarn, la moyenne-vallée de l’Aveyron et celles de ses affluents. On retrouve leur présence sur les plateaux de Montricoux jusqu’à ceux de Cazals à l’Igue des Rameaux, et jusqu’à Saint-Antonin, où les fouilles ont mis à jour quelques choppers et bifaces en quartz grossièrement taillés.

Au Paléolithique moyen, entre 180 000 et 35 000 ans avant notre ère, les hommes Néandertaliens dont les groupes se déplaçaient sur les causses du Quercy entre Dordogne, Lot et Aveyron, ont laissé en particulier, mêlées à des traces de foyers, à plusieurs centaines de mètres de l’entrée d’une grotte située sur la commune de Bruniquel, de bien curieuses structures circulaires faites de stalagmites âgées de 175 000 ans, qui font de cette occupation humaine souterraine la plus anciennement connue dans le monde. Ces Néandertaliens sont aussi ceux-là même que l’on peut qualifier de premiers chasseurs de la vallée de la Vère où leur parcours les conduisait à s’installer saisonnièrement dans un site de plein air sous la grotte du Rouzet au lieu-dit la Rouquette à l’ouest du village de Puycelsi (site fouillé par André Tavoso de 1975 à 1987). Inventeurs de ces pointes, racloirs, lames et burins moustériens provenant des zones à silex s’étendant depuis Le Verdier jusqu’à Cordes, ceux-là nous ont laissé les restes de leurs festins sous forme de très nombreux ossements de rennes, de chevaux sauvages et d’aurochs.
Au Paléolithique supérieur, les Homo Sapiens, arrivèrent de l’orient vers -40 000 ans et remplacèrent le rameau prestigieux des hommes de Néandertal. Ces derniers disparurent mystérieusement à la fin du Paléolithique moyen. Considérés comme nos ancêtres directs (quand bien même nous possédions aussi des gènes de Néandertaliens), les Homo Sapiens vécurent à leur tour dans des habitats mieux structurés, notamment dans de très nombreuses grottes et abris sous roche disséminés dans le bassin de la moyenne vallée de l’Aveyron et de ses affluents où ils chassèrent les derniers rennes. Parmi les très nombreux emplacements ayant donné lieu à des fouilles depuis la dernière moitié du 19ème siècle, une mention spéciale doit être faite aux trois grottes ornées dont celles de la grotte du Travers de Janoye et de la grotte des Vénus de la Magdeleine-des-Albis sur la commune de Penne ainsi que celle de la grotte de Mayrières découverte sur la commune de Bruniquel plus récemment, sur les pentes de la vallée de la Vère où la datation d’ossements d’ours calcinés qui y ont été trouvés remonte à 47 600 années. Outre la grotte du Martinet et la grotte de la Vipère, citons encore sur la commune de Saint-Antonin les abris sous roche de Fontalès et de Manjo-carn.
C’est lors des travaux de la création de la voie ferrée de Montauban à Lexos que l’on découvrit de 1856 à 1858 les abris sous roche à la base de la falaise dominée par le château de Bruniquel avec des habitats datant de la prestigieuse période du Magdalénien (-15 000 à -9 000 ans), remarquable par ses bijoux et son outillage lithique perfectionné de pointes de flèches pour sagaies et pour flèches, aussi bien que par une industrie osseuse bien conservée composée de harpons à barbelures, aiguilles et poinçons.
Au cours du Néolithique, entre -6 000 et -3 000 ans, le réchauffement climatique facilita la transformation des chasseurs-cueilleurs Homo Sapiens en défricheurs (haches de pierre polie), en agriculteurs-éleveurs pratiquant par ailleurs la poterie et le tissage. Lui succéderont, au cours de la Protohistoire, avec la maîtrise du feu et la découverte de la fabrication des métaux, l’âge du cuivre de -3 000 à -2 300 ans, puis l’âge du bronze entre -2 300et -1 700 ans, enfin, l’âge du fer à partir de -800 ans avec l’arrivée des Celtes. Ces hommes des âges des métaux enterraient ou incinéraient leurs morts sous les nombreux dolmens et tumuli que l’on trouve sur les causses entourant la Grésigne, avec à titre d’exemple la célèbre nécropole du Frau de Cazals.
Il ne nous reste donc de la présence de nos très lointains ancêtres préhistoriques ayant vécu autour de la Grésigne, en particulier dans les vallées de la Vère et de l’Aveyron, que des sites de leur habitat où les restes de leur nourriture se sont conservés, mêlés à leurs outils de chasse et à leurs parures. En pierre taillée ou polie, en os de renne, il s’agit d’un outillage caractérisé par une diversité qui a fait la renommée des musées des villes voisines, tant sont nombreux et fort beaux, les haches et les harpons, les pointes de flèches et sagaies, les lamelles et les racloirs trouvés dans ces abris sous roche et ces sites de plein air alentour de la Grésigne. Plus rares sur les parois rocheuses des galeries et des salles de ces grottes sont les dessins gravés et peints représentant les animaux qui constituaient la faune variée de cette zone périphérique à la forêt.
Existait aussi une faune particulière puisque les spécialistes de la Préhistoire ont donné le nom de « cheval de Puycelsi » à ces équidés de toute petite taille que les chercheurs paléontologues de Tautavel ont pu reconstituer d’après les ossements récupérés par André Tavoso et ses équipes de jeunes fouilleurs entre 1975 et 1987. Ces ossements ont été conservés quasi-miraculeusement depuis quelque 50 000 ans dans les éboulis du site de la Rouquette situé au-dessous du causse de Mespel et du massif grésignol de Montoulieu, sur la rive droite de la vallée de l’Audoulou que surplombent la butte-témoin de roche calcaire et le village fortifié de Puycelsi.

Par opposition aux outils préhistoriques qui étaient fabriqués à partir des cailloux de quartz provenant des vallées du Tarn et de l’Aveyron, la plupart des autres outils en silex que l’on peut trouver autour de la Grésigne (souvent récupérés hélas par des « chercheurs du dimanche », pilleurs sans conscience, pour être à jamais perdus ou oubliés dans des collections privées) étaient issus de l’une des douze stations de la commune du Verdier (1). Cette dernière commune fait partie en effet d’une zone à silex plus étendue allant jusqu’à Cordes. Et les premiers hommes qui ont habité nos contrées répandirent sur leurs lieux de chasse alentour, à partir de cette zone d’approvisionnement, les bifaces qu’ils façonnaient plus ou moins grossièrement à l’époque acheuléenne (autour de -300 000 ans), aussi bien que les fines pointes et lamelles extraites des éclats de nucléus à l’époque du Moustérien Quina (autour de -50 000 années), époque caractéristique du site de la Rouquette à Puycelsi.
La Grésigne est donc au cœur d’une riche préhistoire du Paléolithique moyen et inférieur : 140 000 ans avant que n’apparaissent les Homo Sapiens, les Néandertaliens s’aventuraient 175 mètres sous terre dans la grotte de Bruniquel pour ériger des petits enclos circulaires de stalagmites à la lueur de feux dont on a retrouvé les foyers et, avant de disparaître, ils chassaient (entre -70 000 et -50 000 ans) les rennes, chevaux et aurochs dans les éboulis de la falaise de la Rouquette à Puycelsi, la renommée des nombreux sites du Magdalénien dans le bassin de la moyenne vallée de l’Aveyron et de ses affluents, entre -15 000 et -6 000 ans, vient d’une faune nombreuse parmi laquelle dominaient les derniers rennes. Ces sites découverts autour de la Grésigne correspondent à divers habitats où les couches superposées contiennent les outils fabriqués par l’industrie lithique des Homo Sapiens qui se sont succédés de l’Aurignacien au Solutréen jusqu’au Magdalénien. Ces hommes avaient déjà un sens artistique puisqu’ils ont orné les grottes des Mayrières, de la Madeleine et de Penne de leurs gravures pariétales,
Au Chalcolithique (entre 2 600 et 1 800 années avant notre ère), bien après la dernière glaciation de Würm survenue vers la fin du néolithique (c’est-à-dire quelque milliers d’années auparavant), le réchauffement a donné naissance dans l’espace grésignol aux peuplements arboricoles que nous lui connaissons aujourd’hui à base de chênes et de charmes. Sur les causses de son pourtour, les premiers éleveurs et agriculteurs se sont sédentarisés depuis la fin du Néolithique. Grâce à la maîtrise des températures obtenues par le charbon de bois, ce sont aussi nos premiers métallurgistes qui s’adonnent à l’art des métaux. Ils se procurent des objets en cuivre provenant des ségalas rouergat et tarnais, mais profitent aussi du bronze qui sert à la fabrication d’armes, de bijoux divers, voire d’un outillage sommaire pour les défrichements et le travail du sol. Autant d’objets dont l’amélioration sera apportée à l’âge du Fer. On retrouve leurs sépultures dans les dolmens, très nombreux autour de la Grésigne, tels ceux du Verdier et de Vaour pour ne citer que les mieux conservés. Il ne nous reste plus de ces périodes préhistoriques plus récentes que quelques haches de pierre polie, des perles de colliers ou bracelets, voire quelques armes ou autres éléments de parure en bronze, provenant de ces populations péri-grésignoles. Diverses nécropoles ont été retrouvées sous forme de tumuli sur le Frau de Cazals et sur les causses de Mespel à Larroque.
Préhistoire et archéologie de la Grésigne et de ses environs immédiats évoquent donc de longues périodes au cours desquelles les paysages forestiers alternèrent vraisemblablement avec des pacages de toundras plus ou moins soumis à l’alternance de climats froids et secs, précédés ou remplacés par des climats plus doux et plus humides, favorables à la croissance arborée d’une forêt semblable à la forêt actuelle, toujours aussi inhospitalière et quasiment dépourvue d’habitants. Hommes peu nombreux et rares vivant au paléolithique en tribus qui s’installaient, au cours de leur errance de chasseurs et de pêcheurs, sur les versants hospitaliers bien exposés vers l’est et vers le sud, longeant la basse vallée de la Vère et les gorges de l’Aveyron, avant de se sédentariser à la fin du Néolithique sur les causses voisins entourant le massif grésignol. Ils nous ont légué depuis lors un patrimoine mégalithique funéraire, à la fois monumental et remarquable, sous la forme de dolmens érigés au cours du troisième millénaire.

Ces très longues périodes préhistoriques sont le domaine de chercheurs spécialisés dont les savantes études ne sont mentionnées ici qu’à titre documentaire. Laissons le soin aux curieux et aux passionnés de découvrir les lieux, mais aussi l’outillage, les armes et les parures, conservés dans nos musées d’Histoire naturelle de Montauban ou d’Albi. Les lecteurs les plus avertis pourront consulter aussi de nombreux travaux antérieurs, publiés par des auteurs compétents que nous avons signalés dans les notes de bas de page (2).
La forêt de Grésigne protohistorique, de l’époque celtique à l’époque mérovingienne
Intéressons-nous ensuite à la forêt celtique, bien plus étendue que la forêt actuelle, où les Gaulois ont construit des oppida de 350 à 300 avant notre ère selon les spécialistes. Ces emplacements fortifiés ont donné lieu, pour la plupart, à de sérieuses réserves. Ces buttes artificielles, protégées par des fossés et vraisemblablement des fortifications de bois aujourd’hui disparues, ont été identifiées comme étant des mottes du Haut Moyen Age à l’époque mérovingienne. Ce serait le cas, en particulier, de la motte artificielle de Saint -Clément au nord-est de la Grande Baraque, mesurant 14 mètres de haut pour 36 mètres de diamètre, entourée d’un fossé de 8 mètres de large et munie d’un puits central dont des malotrus ont volé récemment les pierres de la margelle). Il ne reste pour les autres que des enceintes de terre amoncelée, entourées de fossés plus ou moins comblés.
Vestiges archéologiques (hélas saccagés ou volés pour on ne sait quelle appropriation individuelle et dérisoire d’objets précieux), témoins d’époques incertaines et de temps obscurs au cours desquels les Celtes, depuis le 3ème siècle avant notre ère jusqu’à la conquête romaine, et les populations locales ensuite jusqu’au 5ème siècle wisigothique, cherchèrent peut-être le refuge d’un habitat forestier, certes inconfortable mais sûr, à l’abri des Alains et autres Vandales.
Les premiers habitants de la forêt que furent les Celtes Ruthènes ou Cadurques accueillirent peut-être les survivants des armées gauloises appartenant aux diverses peuplades du centre de la Gaule qui purent se regrouper sous les ordres du valeureux Luctère d’origine cadurque après la défaite d’Alésia en -52 (année où leur chef Vercingétorix fut fait prisonnier). Elles furent battues un an après, en -51, au siège d’Uxellodunum par les Légions romaines dirigées par Caninius, oppidum sur un emplacement que certains situent à Capdenac, que d’autres identifient au Puy d’Issolu près de Vayrac dans le nord du Lot et que d’autres enfin veulent voir dans le Camp de Caylus sur le plateau de Cantayrac entre Loze et Saint-Projet (3).
Il est possible que Luctère séjourna passagèrement en Grésigne pour y réunir des réserves en nourriture et préparer son dernier affrontement avec les Légions de César au siège d’Uxellodunum. Il fut ensuite trahi et livré à ce dernier par le chef arverne Epasnact (4).
Reste l’énigme que pose « la Peyro Signado »(5). Entourée d’un cercle de pierres et située dans la partie orientale de la forêt, gravée de multiples croix et autres signes divers tels que cupules et fers à cheval, est-elle le témoignage d’un culte druidique où se pratiquaient prières et sacrifices, ajoutant ainsi cette aura de mystère et de légende où baigne ce lointain et mythique passé d’une Grésigne celtique ? Pour une approche très documentée sur les pétroglyphes en Grésigne, je renvoie à l’article « L’art rupestre de plein air » de Bernard Alet et Henri Prat (« Archéologie tarnaise n°16, 2014).
Cette forêt de Grésigne reste donc en grande partie inconnue jusqu’à l’invasion des Wisigoths qui arrivèrent dans les provinces gallo-romaines de l’Albigeois et du Quercy dès 412, après la ruée des Vandales en 407, au cours de laquelle furent ruinées les contrées les plus fortunées de l’Empire romain depuis la Narbonnaise jusqu’à l’Aquitaine. Les Rois wisigoths firent alors de Toulouse, pour un siècle, une de leurs capitales avant qu’ils ne soient, à leur tour, poursuivis et chassés vers la Septimanie en Bas-Languedoc, puis repoussés vers l’Espagne une quinzaine d’années après la bataille de Vouillé en 507 par les armées franques de Clovis. Les descendants de ce dernier firent de l’Albigeois appartenant à l’Austrasie un champ privilégié de batailles entre les Royaumes mérovingiens jusqu’en 587.
Ainsi, étant donné la proximité géographique des évènements durant plusieurs siècles avant l’occupation romaine de la Narbonnaise dès -120, puis de la Gaule entière à partir de -50, l’existence d’habitats en Grésigne semble possible dans une forêt-refuge pour quelques tribus gauloises de Ruthènes ou de Cadurques. Ces derniers ont pu installer leurs oppida retranchés dans les clairières de Grésigne situées sur des sites élevés, plus faciles à fortifier et à défendre face aux Légions de César. Forêt-refuge de nouveau, cinq à six siècles plus tard, pour ces populations gallo-romaines du Haut Moyen Age, qui se réfugièrent à leur tour dans les anciens oppida gaulois fortifiés par leurs prédécesseurs celtes, transformés et réutilisés par la suite en simples mottes de défense, face aux envahisseurs Alains et Vandales, puis Wisigoths puis Francs.
Ainsi que le signale César dans la Guerre des Gaules, ces mêmes fortifications, constituées de buttes artificielles de terre entourées d’une clôture en bois, ont pu faire partie de cette « ligne de circonvallation » aménagée par Caninius « pour protéger la Province », cette fameuse « Province Romaine » appelée la « Narbonnaise » dont les Marches s’étendaient jusqu’aux confins du pays albigeois (« Civitas Albigensium ») et donc jusqu’à l’orée d’une forêt de Grésigne celtique bien plus vaste que celle d’aujourd’hui. Une forêt sauvage déjà soumise au déboisement de quelques clairières en son centre, sinon de quelques tènements en bordure, habitats sommaires que vont parfaire ensuite pendant plusieurs siècles de nombreuses générations d’esclaves exploités par les riches propriétaires gallo-romains. Ces domaines, ces « villae » en cours d’établissement dans toute la vallée de la Vère et sur les plateaux voisins d’Alos jusqu’à la vallée du Cérou se protégèrent à leur tour des barbares venus de Germanie et d’Europe centrale.
Ces mêmes habitats gaulois en Grésigne, entourés de fossés, ont pu ainsi servir au repli et à la protection, de trois à cinq cents ans plus tard, de leurs descendants gallo-romains vivant dans ces riches villae gallo-romaines soumises aux pillages des hordes barbares d’Alamans, de Vandales et de Burgondes, tout autant que de ces cavaliers Alains venus du nord du Caucase qui dévastèrent les contrées voisines, mettant un terme à la « Pax Romana » à partir du 3ème siècle.
Citons donc ces lieux de Grésigne désignés comme oppida lors de l’expansion celtique, ou bien encore comme mottes dans les siècles précédant le Haut Moyen Age. Des hommes ont vécu dans ces lieux chargés des secrets d’une histoire lointaine et cruelle, dont le temps a laissé que des traces imprimées dans le relief de l’espace forestier sous forme d’amoncellements de terre dans des clairières habitées recouvertes aujourd’hui par une végétation dense et protectrice. Ainsi, par exemple :
– le Pech Aguzet qui culmine à 495 mètres d’altitude, au nord de l’embranchement des Terrassiols où la route départementale, traversant Grésigne du sud au nord, se divise pour conduire, à droite vers Vaour par Haute-Serre, à gauche vers Penne par Fonbonne, le Pas de la lignée et Saint-Paul de Mamiac,
– l’opppidum du Renard (299 mètres) qui domine le carrefour de la route de la Plégade et de la route de la Martinio,
– l’oppidum de la Tour de Métal, au bord de la route de la Plégade qui va du pont du Renard au rond-point de la Plégade,
– l’oppidum de la Baronde qui se trouve au -dessus de la confluence du Rô de la Baronde et du Rô Negre,
– l’oppidum de Caillaret (460 mètres), à la limite de la forêt, au Pas du même nom qui assure la sortie de la forêt vers Cabanes sur la commune de Saint-Beauzile.
Il est curieux de constater que ces quatre derniers oppida et celui de Saint-Clément (le plus connu) alignés sur un axe est-ouest passant au centre de la forêt, constituent, selon certains historiens du siècle dernier se référant à César et sa « Guerre des Gaules », la ligne de défense ou de démarcation au nord-ouest de l’Albigeois, entre Celtes et Gallo-Romains de la Première Narbonnaise puis, un demi-millénaire plus tard, entre Francs et Wisigoths au nord de Toulouse. Cette dernière ville fut pendant un temps, comme nous l’avons dit, la capitale des derniers Rois wisigoths jusqu’à la bataille de Vouillé, capitale qu’ils abandonneront ensuite aux dynasties franques avec toute l’Aquitaine et avec ces trois pays du Quercy, du Rouergue et de l’Albigeois dont la Grésigne est l’épicentre.
Une toponymie révélatrice de la présence celte puis gallo-romaine
La toponymie (6) des pays grésignols témoigne également de la présence des Celtes qui donnèrent à nos cours d’eau les noms d’Aveyron, de Vère, de Vervère, autant d’appellations dérivées de la racine gauloise « vera » (eau), ainsi que celle désignant les ruisseaux de Grésigne portant le nom de Rô, terme provenant de la racine « rod »(couler).
Les premières terres défrichées par les Gaulois furent qualifiées également par des lieux-dits dénommés « artigues » (« artiga »), se rapprochant de Lourtigas, nom désignant l’une des quatre garderies de la Grésigne sous l’Ancien Régime, ou encore « Issarts », terme local proche des essarts suite à l’action d’essarter signifiant défricher, et que l’on peut rapprocher du lieu-dit« Lyssart » (Verrerie de l’Issart), toponymes auxquels il faut ajouter les noms celtiques de villages tels que Penne (« Pena » rocher ou arête rocheuse par extension), Larroque (« roc, roca » rocher), Vaour (« Vaur » ravin) voire même le « Celso Dun » (forteresse celte), nom d’où découlerait la première appellation de Puycelsi selon l’historien du 19ème siècle Jules-Gabriel Compayré.
Attestée par ailleurs, quelques siècles plus tard, par les suffixes « acum » ou « iacum » provenant de la terminaison de noms de propriétaires gallo-romains, la désignation de nombreuses localités indique l’importance de cette période autour de Grésigne, au cours de laquelle les premiers défrichements furent effectués pendant les trois premiers siècles de notre ère pour constituer les domaines de ces villae prospères, implantées au nord et au sud-est de la Grésigne dans les vallées de la Vère ou du Cérou :
- soit qu’il s’agisse de toponymes d’origine germanique en « -iacum », tels qu’Andillac (Andela + iacum ), Brugnac (Brunus + iacum ), Vindrac (Winedharius + acum ), Tonnac (Toton+ acum )…
- soit qu’il s’agisse de toponymes d’origine romane en « -ius+acum » tels que Campagnac (Campanius+acum), Itzac (Eppius+ acum), Donnazac (Donnatius + acum), Cahuzac (Cahutius + acum)…
La prospérité de la « Pax Romana » qui caractérisa les premiers siècles de notre ère est liée à la renommée des productions des 200 potiers qui travaillaient à Montans, non loin de la forêt sur la rive gauche du Tarn, ainsi que par des vestiges nombreux tels les sarcophages trouvés à Vindrac et les pavements en mosaïque découverts à Granuéjouls lors de la construction du viaduc de la voie ferrée à Cahuzac-sur-Vère vers 1860. Citons également la découverte (7) en 1964 des établissements gallo-romains des 1er et 2ème siècles ainsi que de deux tombes attenantes au lieu-dit Larroque, commune de Cestayrols, vestiges appartenant à une villa très étendue composée d’autres annexes situées à Lincarque, à Castanet et à Roumanou.
L’occupation des terroirs périphériques à la Grésigne par ces nombreuses « villae », ayant chacune une surface d’environ un millier d’hectares, eut à la fois un intérêt agricole de mise en culture et un but stratégique pour surveiller les premières voies romaines. Celles-ci évitaient de passer en Grésigne. Hors celle du « cami ferrat » d’Albi à Toulouse, et hors celle du « cami Toulzo », portion du « cami Roudanès » qui allait de Rodez à Toulouse en passant à l’est puis au sud de la Grésigne depuis le pont de Cirou par Monestiès, Montels jusqu’à Rabastens et au gué de Saint Sulpice, une autre voie romaine reliait l’Albigeois au Bas-Rouergue et au Quercy en passant au nord de la Grésigne par la vallée du Cérou à Milhars (8). Le nom de cette commune évoque l’une des bornes milliaires qui jalonnaient cette voie de communication au lieu-dit appelé « Miliacum » au 6ème siècle et qui devint « Millares » au 10ème siècle. Au demeurant, cette dernière voie romaine allait rejoindre celle qui passait à l’ouest de la Grésigne en reliant la célèbre ville de « Divona » (Cahors) à « Tolosa » (Toulouse) en passant l’Aveyron en amont d’Ardus et de Montauban, à « Cosa » (Cos).
Alors quasiment impénétrable, le territoire forestier de la Grésigne celtique puis gallo-romaine et wisigothique, resta donc contourné par les voies romaines que les anciennes populations celtiques de Ruthènes, de Cadurques et de Volques Tectosages empruntaient alors pour communiquer entre leurs Civitas ou Provinces du Rouergue, de l’Albigeois, du Quercy et du nord-Toulousain.
Les temps obscurs du 3ème au 9ème siècle permettent une longue régénération de la forêt de Grésigne
Situés à la limite des diocèses d’Albi et de Cahors (9), dont l’histoire nous a laissé le nom des premiers Evêques comme Diogénien vivant à Albi en 406, et plus tard les Evêques Salvi (574-584) et Didier (630-655) respectivement Evêques d’Albi et de Cahors, les petits pays grésignols des vallées de Vère et d’Aveyron connurent vraisemblablement une christianisation rapide après la disparition de l’Empire romain, au cours de ces longs siècles obscurs qui caractérisent encore le Haut Moyen Age mérovingien et carolingien avec un esclavage qui se perpétue dans les domaines agricoles prenant la succession des villae gallo-romaines.
La population grésignole, déjà peu nombreuse pendant la colonisation gallo-romaine, diminuera vraisemblablement durant les siècles suivants au cours desquels seront anéantis les premiers efforts de défrichement réalisés dans les vallées autour de la forêt primitive, par les esclaves de ces riches propriétaires de domaines fonciers, d’une toponymie significative en « ac » nous laissant des morceaux de tuiles romaines découverts fréquemment ici et là, provenant de nombreuses villae gallo-romaines dans les vallées du Cérou et de la Vère représentant une civilisation où l’on maîtrisait les techniques de taille de la pierre et de la cuisson des mosaïques.
Dès la mainmise des Wisigoths et ensuite des Francs sur nos régions, la forêt naturelle de Grésigne et les bois avoisinant conservent une large place en limite des rares espaces mis en culture autour des domaines mérovingiens succédant aux villae gallo-romaines tout au long des petits affluents de la Vère et du Cérou.
Avec l’apparition des premières paroisses, lente et progressive, autour de la Grésigne (à l’instar de celle de Vieux par exemple), la christianisation apaisa et adoucit quelque peu les mœurs de ces Rois mérovingiens, successeurs de Clovis, lesquels rivalisaient de violence et de haine pour s’occire entre eux, voire même pour supplicier leurs femmes. Ce fut le cas de la Reine Brunehaut dite aussi Brunehilde, fille aînée du Roi wisigoth Athanagild, celle dont la légende dit qu’elle créa Bruniquel et qui, après avoir épousé le Roi franc Sigebert assassiné en 575 par Chilpéric envahisseur de l’Albigeois, tua ce dernier et périt ensuite à son tour attachée à la queue d’un cheval fougueux en l’an 613 sur les ordres de Clotaire II, fils de Frédégonde, vieille rivale de Brunehaut. On ne peut que rester perplexe et effrayé devant de telles manifestations d’une sauvage cruauté qui s’exprimait avec tout autant de violence qu’elle soit wisigothique ou mérovingienne !
Descendant des Maires du Palais, fils de Charles Martel (688-741), Pépin le Bref prit Narbonne, le Lauragais, l’Albigeois et toute l’Aquitaine entre 759 et 768 grâce à sa cavalerie lourde. La Grésigne ne devait être alors qu’une possession sans importance pour ce Roi qui sut mettre en place et récompenser ses valeureux soldats et comtes francs. Son fils Charlemagne leur accorda ensuite le titre de « Vassi Dominici », faisant de ces guerriers les véritables administrateurs des territoires soumis, sous le contrôle de « Missi Dominici » envoyés d’Aix-la-Chapelle par le puissant Empereur qui se voulut le défenseur de toute la chrétienté.
Il faudra attendre la féodalité du 10ème siècle pour que les défrichements autour de la Grésigne soient repris lorsque la lignée des premiers Comtes de Toulouse aura pris en main le destin de l’Occitanie avec l’aide de nombreux seigneurs, parmi lesquels les Trencavel qui recevront en fief les terres de l’Albigeois. Les petits seigneurs locaux et leurs vassaux commencent alors à transformer leurs esclaves en serfs corvéables à merci pour entretenir leur domaine propre. Ces serfs sont attachés leur vie durant à la glèbe des tènements qui leur sont accordés, redevables du cens et autres banalités, sans pouvoir se marier ailleurs, puis vendus avec la terre qu’ils travaillent lorsque le domaine seigneurial change de propriétaire.
Le Haut Moyen Age des pays grésignols : communautés religieuses et paroissiales
Sauf pour les serfs qui en travaillaient les terres, les monastères du Haut Moyen Age furent des havres de paix et de douceur. Les moines participant au chapitre, par-delà leur vénération des saints dont les reliques feront l’objet d’un intense trafic, géreront l’extension de défrichements nouveaux et la reprise des terres. Celles-ci abandonnées, et leurs cultures détruites ou anéanties lors des invasions successives d’un pays toulousain en pleine régression économique et sociale du 6ème aux 8ème siècles, marquent le crépuscule définitif de la civilisation gallo-romaine dans cette partie des pays grésignols. Les zones boisées, où avaient déjà été effectués des déboisements par les esclaves des anciennes villae gallo-romaines, redeviennent fertiles, tandis que d’autres donnent lieu à de nouveaux défrichements vont permettre l’installation de communautés religieuses qui s’agrandiront aussi des terres provenant de généreux donateurs, soucieux d’effacer leurs péchés pour gagner le ciel.
C’est ainsi que dans un acte de janvier 943, signé par Addalard, Abbé du monastère de Vieux, figure pour la première fois sous sa forme écrite en langue romane le terme de Grésigne, à partir d’une parcelle de bois donnée en concession par un certain Guiraud à ladite Abbaye, bois situé « in Ministério Viancense in aro de Garzinia », c’est-à-dire « dans le district de Vieux dans l’aire de Grésigne (10)».
La féodalité voit ainsi se constituer, autour de la Grésigne, les habitats nouveaux sous forme de castrum, village haut perché ceint de murailles ou bien à l’abri de leur château fort. Ce peut être aussi des villages protégés de remparts autour de leur église ou de leur abbaye, avec une seigneurie mi-ecclésiastique, vivant du prélèvement de la dîme, et mi-civile profitant du cens et autres rentes imposées aux tenanciers qui travaillent les terres. Tel a été le cas de « Podium Celsium » (Puycelsi) relevant à la fois du ban seigneurial civil de Raymond et religieux de l’Abbé Pierre, bénédictin.
L’occupation féodale des pays grésignols par des communautés paysannes se généralisa ainsi sous forme de paroisses, ainsi qu’en témoignent les noms de nombreux hameaux groupés autour de leurs églises préromanes sur les terroirs voisins de la Grésigne, par exemple Saint-Martin l’Espinasse, Saint Salvy de Combirac, Saint-Martial de Pradials, Saint-Jean del Caussé, Saint Jérôme dans la commune de Castelnau-de-Montmiral, Saint Maurice de Lacalm, Sainte-Catherine de Mourenx, Saint-Jacques de La Capelle, Saint-Julien à Puycelsi, Saint-Martin d’Urbens, Saint-Nazaire, Notre-Dame de Mespel pour la commune de Larroque, Saint-Maffre (dépendant de la puissante Abbaye de Moissac) pour Bruniquel, Saint-Paul de Mamiac pour Penne, Saint Beauzile, Sainte- Cécile du Cayrou, etc.
Certaines de ces paroisses ont disparu avec leur église, y compris peut-être celle qui était implantée au cœur de la forêt de Grésigne, près du « poutz de San Clamens » (11) dont la légende rapporte que les cloches de l’église sonnent encore au fonds du puits de l’oppidum le jour de la Saint-Clément. « Le dîmaire de Saint-Clément de Grésigne » est encore mentionné dans un acte de 1252 par lequel Bernard de Penne en faisait don à l’Evêque d’Albi (12). Vingt-cinq années plus tard, en 1277, Raymond de Giozelles, recteur de Mespel, recevait les deux tiers des dîmes de la paroisse primitive de Notre-Dame-des-Bois (dont l’église actuelle aurait été reconstruite ensuite par les verriers à l’orée de la forêt près de Mespel et sur l’emplacement de l’ancienne chapelle romane), dîmes que le Seigneur Amiel de Penne avait abandonnées également à l’Evèque albigeois. Dotées de modestes églises rurales avec leur clocher-mur, aux murs de pierres maçonnées avec la particularité d’angles extérieurs arrondis qui caractérisent l’architecture simplifiée de l’An 1000 évitant ainsi la taille de solides pierres d’angle équarries, soutenant une simple nef charpentée de bois, la plupart de ces églises, souvent isolées au milieu des bois et des champs, appartiennent à des paroisses très anciennes. Témoignant d’une organisation rurale structurée autour de ces lieux-sanctuaires et servant encore récemment de lieux de pèlerinage où s’exprimait la foi primitive des populations paysannes, ces paroisses et leurs chapelles ont été créées autour de la Grésigne au cours des siècles succédant à la fondation de l’abbaye de Vieux (13). Cette abbaye célèbre où l’on dit qu’Eugène, Evêque de Carthage, vint se fixer quelques années avant sa mort en 505 près des tombeaux des « Saints de l’Albigeois : Amarand, Martianne et Carissime », cette dernière ayant apporté, dans le pan de sa robe, le menhir de la « Peyra Levada » (14), aux dires d’une légende toujours vivante.

Les ordres religieux s’installent avec la protection des seigneurs locaux à partir des 10ème, 11ème et 12ème siècles, notamment les Bénédictins venus autour de l’an 1000 par exemple à Puycelsi, mais aussi dans toute la zone périphérique grésignole (Varen, Saint-Antonin, Gaillac…), ainsi que les Templiers (15) installés à Vaour en 1140, lesquels s’intitulaient en 1248 « les Commandeurs Templiers de Vaour-Montricoux-Lacapelle (Livron) ». C’est grâce à ces Ordres que les paysages alentour de la Grésigne se couvriront peu à peu de vignobles, de terres cultivables et de prairies.
La forêt de Grésigne primitive est restée jusque-là une forêt sauvage et naturelle, très peu fréquentée en cette fin de Haut Moyen Age où elle reste totalement isolée, privée de chemin d’accès et où, pour longtemps encore, personne d’autre que ses riverains immédiats n’aurait alors pensé venir chercher du bois tant il abondait partout dans le pays, ni ne se serait avisé d’y faire paître quelques rares animaux domestiques à cause des loups qui devaient alors y pulluler.
Par contre, du 10ème au 13ème siècles, les Bénédictins et les Templiers défricheront les abords de la Grésigne actuelle selon le rythme et l’organisation de la croissance agraire médiévale, procédant à de laborieux essartages par l’utilisation du feu au besoin, en fonction des besoins de constructions dans les villages riverains mais aussi des besoins de l’élevage qui accélèrent alors le processus de déforestation. Mais la Grésigne est une forêt féodale dont les droits d’usage appartiennent aux seigneurs de Penne, vassaux des Comtes de Toulouse.
A partir de la fin du 13ème siècle vont cesser les grands défrichements pour laisser place à un grignotage clandestin de plus petite dimension dans une forêt devenue royale et de plus en plus surveillée. Devenue forêt royale à la fin du 13ème siècle, la Grésigne deviendra peu à peu un espace règlementé et surveillé, où les conflits apparaîtront de plus en plus nombreux entre les communautés riveraines et la nouvelle administration forestière du Roi de France, conflits qui seront jugés devant le Parlement de Toulouse.
- Cf l’article de MM. Delpech et Farenc paru en 1956 dans la Revue du Tarn, article reproduit sur l’Echo du Montmiralais n°48 (4ème trimestre 1988)
- Voir le « Répertoire archéologique de la Grésigne et de ses environs », établi par MM. Delpech et Farenc en 1970 ainsi que l’étude sur « la Peyro Signado » publiée le 20 janvier 1976 par le regretté Jean Lautier. Voir également la thèse de M. Bernard Pajot « Civilisations du Paléolithique supérieur du bassin de l’Aveyron »
- Cf« A propos d’Uxellodunum » de MM. Réveillé et Itard, pages 35 à 43, Actes des Congrès d’études tenus à Montauban les 9,10, et 11 Juin 1972 « Montauban et le Bas-Quercy », pages 35 à 43
- Voir « La Guerre des Gaules », de Jules César, pages 209 à 215 (Livre huitième), Edition GF-Flammarion, 1992
- Voir la note publiée par Jean Lautier le 20 janvier 1976 qui signale les dimensions précises de la « Peyro Signado » (longueur : 1,20 m largeur : 0, 80 m, hauteur : 0,78 m) et qui précise le détail des 83 signes gravés sur cette pierre et répertoriés en 11 catégories. Il est à noter que nous trouvons la graphie « Peyro Seignado » et non « signado » sur de vieilles cartes de la Grésigne, ce qui conforte le sens de « pierre servant à des sacrifices », en mettant l’accent sur le sang des victimes qui y auraient été immolées plus que sur les signes gravés
- Les exemples cités sont extraits des ouvrages d’Ernest Nègre : « Toponymie Générale de la France » Librairie Droz S.A., 1 851 pages en trois tomes, Genève, 1991, et « Noms de lieux du Tarn », 127 pages, 4ème édition, 1986
- Les fouilles réalisées de 1964 à 1966 sur la villa gallo-romaine au lieu-dit Larroque, commune de Cestayrols, par Françoise et René Cubaynes, ont permis de recenser la présence de nombreuses salles, notamment une salle équipée d’un métier à tisser et de matériel de menuiserie, ainsi que des salles thermales avec hypocauste, caldarium, tépidarium, sudatorium, frigidarium… plus un aqueduc reliant cette villa à celle de Lincarque. Ces fouilles ont aussi permis de faire l’étude, d’une part de la faune à partir de 1 501 fragments osseux résultant de l’élevage bovines et surtout de porcs et moutons mais aussi de la chasse aux cerfs et sangliers, d’autre part de la flore ligneuse à partir des charbons végétaux découverts sur place. Sans compter vases et urnes funéraires, lampes et outillages divers trouvés dans les tombes
- Cf article de P. Marion: « Essai sur l’Histoire de Milhars », Revue du Tarn n° 124, Hiver 1986, pages 703 à 736. Le mille était une mesure romaine valant 1 000 passus correspondant à 1,48 mètre chacun, soit 1 480 mètres pour un mille, distance comprise entre deux bornes miliaires
- Cf « Histoire d’Albi », Privat, 1983, (pp 33 à 36), et « Histoire du Quercy », Privat, 1993, (pp 81 à 90)
- Raymond Granié « La forêt de Grésigne, des origines au milieu du 17ème siècle », extrait du « Bulletin Philologique et Historique », 1963, reproduit dans la Revue du Tarn n° 94 et 95, 1979
- Légende rapportée par Marcel Delpech qui la tenait de sa grand-mère. « Echo du Montmiralais », premier trimestre 1986
- Rossignol « Monographies communales », notes sur Sainte Cécile du Cayrou signalant le recueil de Doat mentionnant cet acte conservé aux Archives Nationales (5 N 107 F 204)
- Charles Portal: « Historique de la Région Albigeoise », Imprimerie Nouvelle, Albi, 1913
- Ce menhir, décrit par Jean Lautier dans son ouvrage sur les mégalithes du Tarn, publié en 1981 par la Fédération tarnaise de Spéléo-Archéologie, est implanté sur la rive droite de la Vère à 1 km au sud-ouest de Vieux. Il mesure 2,70 m de haut sur 3,45 m de large et 0,45 m d’épaisseur moyenne
- Le Cartulaire des Templiers de Vaour cite, parmi leurs généreux donateurs de domaines et de dîmes, plusieurs familles portant le nom de la Grésigne libellé sous diverses formes. Par exemple « Ademara de Gradina cède le 19 février 1183 ses droits sur les dîmes de Saint-Julien pour 160 sous de Melgueil », de même que « Bernard-Aton de Grahina et sa femme Gualiana » cèderont en juin 1177 « au Temple de Vaour représenté par son procureur Fort Sans assisté par Jean de Nougairols tous leurs droits sur la tenure de G. Bonafous »
Un avis sur « chapitre 1 : LA FORET DE GRESIGNE ET LES PAYS GRESIGNOLS AUX TEMPS LES PLUS RECULÉS »